L'Article
L’auteur est témoin de deux évènements tragiques à quelques mois d’intervalle : la mort de l’enfant de connaissances lors du tsunami de 2004 et la mort de sa belle-sœur, maman de trois enfants, d’un cancer. On lui demande alors d’écrire un livre là-dessus. Va s’y greffer la relation entre cette belle-sœur et l’un de ses collègues, tous deux étant juges à Vienne.
Il y a un peu moins d’un an sortait le film Toutes nos envies, un très bon long-métrage dont trop peu de monde a parlé. Il a eu la malchance de tomber dans la période où tous les films français qui sortaient (ou presque) étaient acclamés par la critique et les spectateurs. Toujours-est-il que ce film, avec à peine 300 000 entrées, n’a pas du tout été reconnu à sa juste valeur. C’était en fait une « libre adaptation » d’un roman d’Emmanuel Carrère, aussi connu pour ses scénarios et ses adaptations de films et de téléfilms (par exemple des romans de Fred Vargas). Et ce roman, je l’ai (enfin) lu et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce livre est une réussite.
Au premier abord, D’autres vies que la mienne fait un peu « peur » : on sait d’emblée que tout ce que raconte l’auteur est vrai. Le lecteur peut avoir l’impression d’être mis dans une drôle de situation en s’immisçant dans la vie de personnes qu’il ne connaît pas, presque comme s’il était un voyeur. Mais là où Emmanuel Carrère est fort, c’est dans la façon dont il rend tout cela presque « naturel ». Cela est sans doute aussi lié au fait qu’il explique son processus d’écriture, qui est en lien direct avec ce qu’il vit. C’est donc aussi un livre très intéressant sur l’écriture : pourquoi écrire ? comment écrire ? sur quoi écrire ? Pour autant, l’auteur ne se met pas en avant mais plutôt au service de ces histoires tragiques, avec un style assez fluide, et c’est pour cela qu’on ne peut pas dire que cette façon de faire soit gênante.
Par contre, c’est vraiment émouvant parce que ce qui est raconté est particulièrement dur. D’ailleurs, le romancier arrive à prendre de la distance en écrivant lui-même qu’un scénariste n’aurait sans doute pas osé aller aussi loin dans les coïncidences et les parallèles à effectuer. Il y a, en tant que spectateur, une forme de lien qui se créé avec ces personnages qui nous sont décrits souvent de façon très intime. C’est en tout cas globalement un très bon livre, que je recommande chaudement.
« À un moment de ce voyage, tandis que nous fumions au bord de la route, Philippe m’a entraîné un peu à l’écart et demandé : toi qui es écrivain, tu vas écrire un livre sur tout ça ?
Sa question m’a pris au dépourvu, je n’y avais pas pensé. J’ai dit qu’a priori, non.
Tu devrais, a insisté Philippe. Si je savais écrire, moi, je le ferais.
Alors fais-le. Tu es mieux placé pour le faire.
Philippe m’a regardé d’un air sceptique, mais moins d’un an après il l’a fait, et bien fait. »
Un livre extrêmement fort, qui remet beaucoup le lecteur en question, et qui bouleverse même parfois. Emmanuel Carrère arrive parfaitement à se mettre en retrait de ce qu’il raconte, dans un style à la fois limpide et terriblement touchant. Vraiment un superbe roman, duquel il est compliqué de ressortir véritablement indemne. En plus, l’adaptation (très libre) au cinéma est magnifique.