L'Article
En octobre 1941, un terrible meurtre fait les gros titres de la presse. Un homme, sa sœur et leur bonne ont été assassiné dans un château du Périgord. Tout semble accuser Henri, le fils, seul présent et qui avait emprunté l’arme du crime, puisqu’il est le seul héritier. Pourtant, il sera acquitté, avant de partir en Amérique du Sud et de revenir avec un livre écrit sous le nom de Georges Arnaud. Philippe Jaenada tente aujourd’hui de percer ce qui reste encore un mystère…
Il y a quelques mois, je suis tombé devant ce livre lors d’une incursion dans une librairie un jour de canicule (histoire vraie !) et je me suis souvenu qu’il y a deux ans, lors de sa sortie, on en avait beaucoup entendu parler (favori au Goncourt, notamment, et vainqueur du Prix Femina, finalement) et que j’avais eu envie de le lire. Moi qui adore les faits divers, je trouvais vraiment « chouette » le principe d’un auteur qui revienne plus de 75 ans après sur des meurtres encore officiellement inexpliqués par la justice pour mener sa propre enquête à partir du matériau restant (il est d’ailleurs fascinant – et d’une certaine manière rassurant – qu’on retrouve autant de documents, si longtemps après les faits et le procès). C’est devenu un peu la spécialité de cet auteur dont c’est le premier ouvrage que je lis, puisqu’il s’est intéressé auparavant aux personnages de Bruno Sulak (braqueur français célèbre dans les années 80, notamment pour ses évasions) et de Pauline Dubuisson (accusée dans les années 50 du meurtre de son ex-petit ami, Felix Bailly). Et, même si je n’ai pas forcément dévoré La Serpe d’une traite (j’ai même lu un ou deux livres entre temps), je dois dire que c’est un ouvrage qui a fini par me convaincre.
Il est d’abord difficile de parler de ce livre sans évoquer le style assez inimitable de Jaenada. Il aime clairement se raconter puisqu’il se place au cœur de cette nouvelle enquête (on suit tout son périple pas à pas), mais, surtout, il aime donner à son existence un côté résolument comique, en ne cessant de flatter son ego ou encore en évoquant sa famille. Il utilise ainsi beaucoup la parenthèse (n’hésitant pas à en inclure une ou même deux dans une déjà ouverte) qui lui permet des digressions, qui peuvent être d’une drôlerie absolue ou d’un ennui abyssal. De fait qu’on se sent toujours obligé de les lire même si elles ne servent pas le récit principal, de peur de passer à côté d’une perle (et il y a en a quelques unes de savoureuses). Jaenada apprécie également titiller son lecteur, en lui promettant d’aller plus vite vers la résolution de l’enquête, tout en prenant son temps et en s’étalant sur des détails franchement sans importance. Alors, oui, le procédé est drôle mais il m’a fallu un peu de temps pour m’y faire et, pour être tout à fait honnête, j’ai même eu du mal lors des 200 premières pages (sur les presque 650). Dans cette première partie, il raconte la vie de son « héros », telle qu’elle est connue de façon générale (flambeur, insupportable, bref, déplaisant) et la manière dont lui s’est intéressé à cette histoire. Ca traine parfois en longueur et ce n’est pas toujours captivant, surtout qu’on sent que ce n’est que pour mieux rebondir dans un deuxième temps sur une autre vision.
Et tout change effectivement quand l’auteur lui-même met le nez dans cette affaire et démonte un à un tous les arguments qui ont fait d’Henri Girard le suspect idéal pour cette affaire (bien que finalement jamais condamné). Et, à partir de là, il faut bien s’accrocher car Jaenada s’est donné la mission de décortiquer dans les moindres détails toute l’enquête. Il s’intéresse alors aux procès-verbaux, aux témoignages, aux emplois du temps,… Il croise tout, doute de tout, propose ses propres hypothèses (pas forcément basées sur des faits intangibles d’ailleurs mais plutôt sur une certaine logique) et arrive finalement à sa propre conclusion (je vous laisse la découvrir). C’est parfois assez compliqué à suivre tant il va dans la précision (il est capable de passer une quinzaine de pages sur une ouverture de fenêtre) mais c’est en même temps très intéressant de suivre la manière dont on peut, à partir d’un matériau ancien, complètement « repartir » dans le passé et faire sa propre enquête largement satisfaisante (même s’il reste quelques zones d’ombre). C’est là que réside véritablement la force de La Serpe et qui fait, que, dans un deuxième temps, après avoir eu un peu de mal à me lancer, j’ai fini par dévorer ce qui est quand même un petit pavé. Mais ça vaut le coup car il y a un vrai plaisir de lecture !
« Pour eux, l'une des premières preuves de la culpabilité? d'Henri, c'est qu'il soit le seul survivant, le seul dans le château au matin ; pour moi, c'est au contraire l'une des premières preuves de son innocence : de tous les suspects qu'on pourrait envisager, il serait le seul a? avoir dispose? de douze heures pour maquiller ses crimes en vol ou en n'importe quoi d'autre, il n'est pas pensable qu'il en ait si médiocrement profite?, qu'il se soit montre? aussi nul durant toute la nuit – vous êtes le dernier des ânes, Girard. »
Dans un style bien à lui, fait de digressions pas toujours utiles mais souvent drôles, Philippe Jaenada livre une contre-enquête assez édifiante, où presque personne n’est épargné. Ça met un peu de temps à démarrer mais, ensuite, c’est un véritable régal de suivre cet inspecteur amateur se plonger au cœur de ce qui demeure pour la justice encore un mystère non résolu. L’auteur, lui, a son idée et nous la fait partager…