L'Article
Marnie et Taz sont en train de retaper complètement une petite maison qu’ils ont achetée. Ils sont jeunes, insouciants et quand Marnie tombe enceinte, ils sont sûrs de trouver les ressources pour s’occuper du bébé à venir. Mais le destin va s’en mêler et laisser Taz seul avec cet enfant. Comment va-t-il faire face à une situation complètement impensable ?
C’est toujours intéressant de découvrir un nouvel écrivain dont on n’a jamais entendu parler avant. Ça peut être synonyme de mauvaise surprise (je viens par exemple d’arrêter ma lecture du Planisphère Libski de Guillaume Sørensen après 80 pages, tant je ne trouvais absolument aucun plaisir dans ce livre) mais, la plupart du temps, je parlerais quand même de belle expérience, avec l’envie (plus ou moins prononcée) de s’attaquer à un autre ouvrage de l’auteur. Pour me rassurer vis-à-vis de Pete Fromm, il y avait quand même la « caution David Vann » puisque l’auteur américain que j’apprécie tant donne, sur la quatrième de couverture, son avis (positif, forcément) sur son collègue. Forcément, je me disais que je pouvais y aller tête baissée. Et, franchement, je n’ai pas été déçu. Bien au contraire, La vie en chantier est un livre qui m’a marqué et que je considère comme l’un des plus beaux que j’ai pu lire dernièrement.
Pourtant, Dieu sait que le sujet est terrible : il s’agit du deuil de l’être aimé qui intervient au moment sans doute le plus intense de la vie d’un couple, celui où un enfant naît. Franchement, vu comme ça, on s’imagine un livre triste et « plombant » qui nous narre l’existence d’un homme obligé de vivre dans un cauchemar. Pete Fromm dépasse largement cela et nous offre le récit d’une renaissance, forcément douloureuse, mais qui voit Taz saisir la chance qui lui est offerte de se reconstruire, grâce à son bébé mais également à ceux qui vont l’entourer de ce qui s’apparente à une véritable aventure. Ces « seconds rôles » (très réussis) sont très importants car ce sont eux qui accompagnent Taz et lui donnent la force de se lever chaque jour et de continuer à vivre malgré tout. Mais c’est tout de même un combat intérieur que le jeune homme mène et l’auteur a un vrai talent pour que le lecteur soit, comme Taz, sans cesse tiraillé entre passé sans doute idéalisé et avenir incertain, entre deuil inévitable et reconstruction nécessaire.
Avec son écriture d’une très grande pudeur, Pete Fromm va très loin dans l’intime, à la fois dans la dimension amoureuse mais aussi par rapport à l’amitié ou les relations familiales. Il parvient à rendre tangible les émotions de son personnage. Et c’est toujours fascinant cette manière que peuvent avoir des auteurs à aller très profondément dans les sentiments tout en restant très simples et accessibles dans leur écriture. C’est un talent que j’admire vraiment et dont Pete Fromm me semble indéniablement doté. En ce sens, la comparaison avec un David Vann peut tout à fait s’entendre même s’il y a là plus d’optimisme ! Une autre particularité qui m’a marqué est la manière presque cinématographique dont cet écrivain écrit : on a souvent le sentiment de découvrir de véritables plans-séquences. C’est pourquoi je pense que ce livre a tout pour être adapté pour le grand écran (mais il faudra un réalisateur qui sache être dans la retenue et pas dans le pathos). Et, pour finir, un remerciement pour mon père qui m’a prêté ce livre en me disant que j’aimerais sans doute bien. On n’a pas toujours les mêmes goûts en lecture mais sur ce coup-ci, il a vraiment visé juste !
« Lorsqu’elle le lui dit, Taz est à genoux ; à force de manier le marteau ses bras vibrent, palpitent et picotent. Il lève les yeux, les oreilles bourdonnantes, la pince à levier et les doigts coincés sous encore quinze centimètres de sous-plancher en kryptonite de malheur.
Les pouces accrochés à sa ceinture à outils, comme si finalement elle comptait s’attaquer au fichu lattis, Marnie le regarde avec un sourire en coin et répète sa phrase.
Il cligne des yeux, hausse un sourcil et libère ses doigts, les frotte pour en retirer la poussière.
– C’est vrai ? demande-t-il.
Tâchant de contenir son sourire, elle commence à extraire un test de grossesse de sa ceinture, à peine un centimètre ou deux, avant de l’enfoncer à nouveau.
– L’aiglon a atterri. »
Pete Fromm nous livre ici une histoire à la fois terriblement triste mais aussi remplie d’espoir, écrite avec une grande finesse et une sensibilité de tous les instants. C’est puissant, drôle par moments et surtout incroyablement émouvant. Un vrai coup de cœur et la découverte d’un auteur dont j’ai envie d’aller un peu plus loin dans la bibliographie.