L'Article
Le peintre poursuit son travail sur le portrait de la jeune Marié, alors que l’univers dans lequel il évolue est toujours aussi étrange, entre apparitions de personnages qui semblent imaginaires, disparitions d’objets,… Lorsque c’est Marié qui, un soir, ne revient pas chez elle, le peintre va devoir effectuer un voyage qui va le mener bien plus loin qu’il aurait pu l’imaginer.
Puisque l’ouvrage a été divisé en deux parties par les éditeurs français, de manière assez étrange (même si, évidemment, vendre deux livres, c’est toujours mieux qu’un seul) [EDIT du 01/02/2019 : fausse information que je corrige grâce à un commentaire de Hélène Morita, traductrice de Murakami, que je remercie et félicite pour son travail : Belfond, l'éditeur français s'est conformé à l'édition japonaise : 2 tomes parus simultanément. Désolé !], on trouve dès le début de ce deuxième livre la suite de ce qui avait pu être raconté avant, avec les mêmes personnages, notamment ce narrateur qui a du mal à trouver l’inspiration, ce Menshiki toujours aussi mystérieux et cette petite nouvelle, Marié, dont on sent qu’elle aura une importance grandissante au fur et à mesure que le livre avancera. Il n’y a donc aucune rupture narrative et on continue sur ce rythme propre à Murakami à découvrir de nouveaux éléments qui, la plupart du temps, amènent davantage de questions qu’ils ne permettent de donner des réponses. Ainsi, les énigmes se multiplient et, ce qui est vraiment intéressant, c’est qu’on a le sentiment que tous les personnages peuvent détenir une ou plusieurs clés qui permettraient de les résoudre. C’est d’ailleurs le cas même si, finalement, un grand nombre de questions restent sans réponse claire et si les personnages resteront tout autant mystérieux qu’ils l’ont toujours été.
Ainsi, la dimension thriller du livre est toujours bien présente, notamment parce que ce roman est construit comme un feuilleton, avec des petits suspens à la fin de chacun des chapitres. On a vraiment du mal à décrocher sur la fin tant les différents mystères semblent sur le point de se résoudre. Pour cela, il faut accepter de ne pas rester dans un monde complètement réaliste, mais de se laisser porter dans un univers parallèle et étrange, où les idées ont une importance toute particulière. Quand on a l’habitude de lire Murakami, ce n’est pas dérangeant et c’est d’ailleurs l’une des particularités de son œuvre (même si, pour moi, ses meilleurs romans sont ceux qui restent complètement réalistes). L’auteur garde cette faculté très impressionnante d’aller par petites touches (ou même plus franchement par moments) dans l’imaginaire pour créer un monde qui, s’il ne peut être réaliste, reste tout à fait imaginable pour le lecteur. Mais, en fait, dans ce monde fantasmé, c’est bien du réel qu’il parle, et notamment des sentiments qui touchent les personnages. Dans ce Meurtre du Commandeur, la sensation d’absence est ainsi très présente, car tous les personnages principaux sont, à leur manière, solitaires et essaient de vivre avec, chacun à leur façon.
Mais ce nouveau roman de Murakami est également une formidable réflexion sur la création et sur l’art en général : qu’est-ce qui est véritablement représentable ? est d’ailleurs une question qui revient tout au long du livre, et, là encore, l’auteur ne donne pas véritablement sa réponse, laissant plutôt le lecteur se faire sa propre idée. La fin du livre, qui marque comme un retour à la situation initiale, fait de cette histoire une sorte d’épisode qui aura profondément marqué le narrateur, mais on ne saura jamais ce qu’il fera de ce qu’il a appris au cours de ce qui est une sorte de voyage initiatique. Comme toujours avec Murakami, il faut accepter de se laisser porter, sans vouloir se raccrocher absolument à quelque chose de saisissable et de connu. C’est notamment possible grâce à lune écriture toujours aussi fluide et poétique, capable même de nous offrir certains passages d’une beauté stupéfiante. Et quand on s’autorise à entrer dans ce monde, c’est un vrai plaisir de lecture qui nous est offert.
« Le dimanche fut aussi un jour de très beau temps. Il n'y avait pas de vent et le soleil automnale faisait joliment resplendir les feuilles des arbres des montagnes en leur conférant toutes sortes de nuances variées. Des petits oiseaux à gorge blanche voletaient de branche en branche, picorant des bais rouges avec habilité. Assis sur la terrasse, je ne me lassais pas de contempler ce paysage. La beauté de la nature est prodiguée impartialement aux riches comme aux pauvres. Comme le temps...Non, le temps, ce n'est pas la même chose. Avec de l'argent, je crois que les favorisés de ce monde peuvent s'acheter du temps en plus.»
L’auteur japonais conclut en beauté cette histoire d’un peintre en manque d’inspiration qui va trouver dans des événements extraordinaires se produisant autour de lui une nouvelle vitalité artistique. Evidemment, on n’a pas les réponses à toutes les questions posées dans le roman mais c’est aussi ce qui fait le charme de l’écriture toujours aussi fluide et par moments magnifique de Murakami.