L'Article
Elena a quitté son mari et est partie vivre avec son amour de jeunesse, Nino. Sa carrière d’écrivain continue de prendre de l’essor et sa vie se complique toujours plus, notamment par rapport à ses deux filles. Lila, elle, est restée à Naples et l’entreprise d’informatique qu’elle a créé continue de prospérer. Alors qu’elles atteignent l’âge adulte, les deux amies d’enfance vont continuer à se croiser, se perdre et se retrouver…
Ca y’est, c’est fini… J’attendais depuis un certain temps le dernier tome de cette saga dont j’avais débuté la lecture il y a plus d’un an et demi et qui m’aura tenu en haleine jusque maintenant (les autres tomes : ici, ici et là). Car, oui, les aventures d’Elena et sa relation avec Lila sont toujours aussi passionnantes et nous entrainent encore et toujours dans un tourbillon de joies, de drames et d’émotions contradictoires. Tout cela au cœur d’une ville et d’un pays en pleine mutation et on peut d’ailleurs un peu regretter que le contexte assez noir de ces années 70 italiennes (les « fameuses » Années de plomb) soit trop laissé en arrière-plan. Mais ce qui intéresse vraiment l’auteur, c’est bien le lien à la fois indéfectible et compliqué entre deux jeunes femmes que les circonstances de la vie (et sans doute également leurs aspirations profondes) ont éloigné, puis rapproché, puis de nouveau éloigné… Comme toujours, Elena Ferrante possède ce talent assez dingue pour se jouer du temps, profitant d’un paragraphe pour faire passer une dizaine d’années et mettant quatre pages pour décrire le plus précisément possible les sentiments qui habitent son personnage.
Certains passages sont sublimes et la fin, elle, est particulièrement réussie. Elle ne lève pas les voiles sur de nombreux mystères qui restent entiers, même après environ 2000 pages (quand même). Cela vient principalement du fait que, finalement, on ne connaît que le point de vue d’Elena sur cette relation exceptionnelle entre deux petites filles, puis deux femmes. On peut même dire qu’une part de flou est rajoutée puisque la dimension autobiographique de cette œuvre est largement suggérée. Il est déjà acté que le livre sera adapté en série (avec HBO dans le coup, ce qui est toujours gage de qualité) avec huit épisodes par tome. C’est même déjà en tournage. Personnellement, j’ai du mal à voir comment ce livre, énormément bas sur les sentiments intérieurs et les ressentis, pourra être mis en image sans avoir trop recours à la voix-off… De toute façon, je n’ai plus tant que cela à attendre puisque la diffusion est prévue pour l’automne prochain. Je pourrai donc me faire une idée assez rapidement.
« J'aimais ma ville, mais je me fis violence pour m'interdire de prendre automatiquement sa défense. Au contraire, je me convainquis que la déception dans laquelle finissait tôt ou tard tout amour pour Naples était une loupe permettant de regarder l'Occident dans son entier. Naples était la grande métropole européenne où, de la façon la plus éclatante, la confiance accordée aux techniques, à la science, au développement économique, à la bonté de la nature et à la démocratie s'était révélée totalement privée de fondement, avec beaucoup d'avance sur le reste du monde. Etre né dans cette ville ne sert qu'à une chose: savoir depuis toujours, presque d'instinct, ce qu'aujourd'hui tout le monde commence à soutenir avec mille nuances : le rêve du progrès sans limites est, en réalité, un cauchemar rempli de férocité et de mort.»
Elena Ferrante conclut en beauté une tétralogie d’une puissance vraiment étonnante. Toujours capable de dilater le temps de manière fascinante, l’auteure ne livre pas complètement les clés qui permettent de comprendre cette relation d’une intensité folle entre Lena et Lila. Mais les toutes dernières pages n’en restent pas moins magnifiques. Honnêtement, je suis triste de quitter ce quartier et ces personnages auxquels je m’étais habitué…