L'Article
Au cœur de l’apogée du régime théocratique de la République de Galaad, trois femmes très différentes racontent leur existence. Il y a d’abord l’une des Tantes fondatrices du régime, mais aussi deux jeunes fille qui ont chacune grandi d’un côté de la frontière : au Canada pour l’une, et à Galaad même pour l’autre. Leurs récits s’entremêlent pour montrer ce qu’est devenue cette République abjecte.
Je vais être tout à fait honnête, j’ai découvert La servante écarlate (dont Les Testaments est une suite) avec la série produite par la plateforme Hulu et dont la première saison (qui suit l’intrigue du livre) a été diffusée en 2017. J’ai d’ailleurs vu les deux premières saisons (et je vais m’attaquer à la troisième bientôt) et il est assez étrange de se dire que, finalement, Les Testaments ne sont pas du tout la même suite que la deuxième saison. Margaret Atwood a choisi, plutôt que de continuer l’intrigue autour de DeFred, la servante héroïne du livre, de s’intéresser à la manière dont le régime de Galaad a finalement chuté (on le sait dès la fin du livre, paraît-il). Vu comme l’auteure remercie à la fin du livre les producteurs de la série pour leur travail, je me dis qu’elle a plutôt été contente du travail réalisé et que le passage de l’écrit au petit écran a été de qualité selon elle. Pour autant, on peut voir le fait que Margaret Atwood fasse un saut de quinze ans par rapport à la fin du livre une volonté de sa part de « reprendre le contrôle » de son histoire, sans que ça n’entre complètement en contradiction avec les développements de la série. Tout cela pour dire que je ne me sens donc pas complètement « honteux » de lire la suite d’une série télévisée (puisque, dans les faits, c’est le cas).
On retrouve très rapidement cet univers oppressant créé de toute pièce par Atwood avec cette République de Galaad (qui a tout d’une dictature) où le rôle des femmes est plus que subalterne. Le récit à trois voix organisé par l’auteure nous permet de comprendre les mécanismes qui ont permis la mise en place et une certaine pérennité du régime, mais également la manière dont des femmes pouvaient elles-mêmes décider de participer (plus ou moins activement) à la propre perte de leur genre, ou au moins, ne pas avoir idée de se rebeller. C’est souvent glaçant, percutant et presque un peu gênant tant on reconnaît des traits de nos sociétés actuelles (bien qu’ils soient ici poussés au maximum). Les trois personnages principaux sont bien caractéristiques des différentes facettes du régime : son rapport à l’extérieur, sa façon d’éduquer les jeunes filles et la manière dont il est dirigé. Cette palette permet vraiment au lecteur d’avoir une vision bien large de cet infâme régime qui, en fait, vit pleinement avec les maux qu’il prétend combattre.
Les Testaments se lit comme un véritable thriller puisqu’on comprend assez vite que les histoires de ces trois personnages vont s’entrechoquer et que ce lien créé va avoir des conséquences énormes sur l’existence même de Galaad. Je trouve tout de même que toutes les parties de Tante Lydia sont les plus intéressantes car elles plongent le plus profondément au cœur de ce qu’est ce système politique. C’est dommage que la fin du récit soit peut-être un peu trop précipitée et « facile » (avec des rebondissements assez étonnants), comme si Atwood n’avait pas voulu complètement aller au bout de son idée, mais elle permet tout de même à l’émotion de s’exprimer vraiment. Par contre, je trouve l’idée de mettre les actes d’un congrès qui a lieu bien plus tard sur l’étude des textes vraiment intéressante car, en une dizaine de pages, on a une vision presque froide et scientifique de ce que l’on vient de lire et c’est assez étonnant. En fait, ce qui est assez paradoxal, c’est que cette lecture m’a donné presque plus envie de lire La servante écarlate que de regarder la saison 3. Ce n’est pas impossible que je m’y mette rapidement.
« On n’avait pas le droit d’avoir une meilleure amie. Ce n’était pas bien de former des petits cercles, disait Tante Estée, sinon les autres petites filles se sentaient exclues, alors qu’il fallait qu’on s’entraide pour devenir les plus parfaites possibles.
Tante Vidala, elle, disait qu’être meilleures amies te poussait aux chuchotis, aux intrigues et aux secrets, qu’intrigues et secrets te poussaient à désobéir à Dieu, que la désobéissance te poussait à la rébellion, que les petites filles qui se rebellaient devenaient des femmes rebelles et qu’une femme rebelle était encore pire qu’un homme rebelle parce que les hommes rebelles devenaient des traîtres tandis que les femmes rebelles devenaient des femmes adultères. »
A travers trois regards différents et complémentaires, Margaret Atwood nous plonge au cœur du système Galaad avec toute sa perversité mais aussi ses travers. C’est prenant car c’est écrit comme un vrai page turner mais c’est aussi efficace car ça nous fait réfléchir sur notre société actuelle et ce qu’elle pourrait devenir si on n’y fait pas plus attention.