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TimFaitSonCinema

UN GOÛT DE SÉRÉNITÉ

 L'Article


Tristesse

Depuis hier soir, et encore ce matin, beaucoup de gens qui me connaissent – et qui savent donc mon admiration pour Roger Federer – m’envoient des messages, me demandent si je vais bien, si je ne suis pas trop triste,… C’est évidemment très gentil de leur part de prendre soin de moi, et je les en remercie vivement. Mais j’ai toujours la même réponse : « Tout va bien pour moi, merci ». Pourquoi ? D’abord parce qu’il y a trop de choses bien plus graves dans la vie qu’un simple résultat sportif et, ensuite, parce que, en fait, je me sens tout simplement comblé. Ça vous semble étrange ? Je vais donc m’en expliquer.

Cet article est une "réponse" ou une suite à celui que j'avais écrit le 29 janvier 2017 suite à sa victoire à l'Open d'Australie intitulé Un goût d'éternité.

Déçu (quand même, soyons honnête)

Evidemment, j’aurais préféré (et de loin) qu’il gagne le match d’hier. Ça ne sert à rien de dire le contraire et ça ne serait de toute façon guère crédible. Plus que le résultat sec (une défaite en finale de Grand Chelem), c’est le scénario qui laisse une forme d’inachevé à ce Wimbledon qui l’aura vu triompher de Nadal en demi-finale dans un match où il a été excellent. Il va donc falloir se replonger un peu dans le cœur de cette finale assez exceptionnelle à pas mal de niveau pour essayer de comprendre où et quand le Suisse a laissé passer sa chance après presque cinq heures de jeu. De façon évidente, on reparlera longtemps de ces deux balles de matchs obtenues après avoir breaké Djokovic dans le cinquième set. Sur la première, il se précipite un peu et rate son coup droit et sur la deuxième, il est planté par un superbe passing de coup droit du Serbe après une montée un peu neutre. Deux occasions qu’il aurait sans doute pu mieux gérer mais qui doivent aussi leur triste conclusion à la solidité de l’adversaire. Il y a également ces deux balles de break à 11 partout qu’il ne parvient pas à gagner. Et il y a surtout ces trois tie-breaks où il enchaîne les fautes directes avant de finir par les perdre. Autant de moments clés que Federer n’a pas su bien gérer et où Djokovic a été, lui, plein de maitrise.

Mais plus que ces points précis, je pense personnellement qu’il perd en grande partie cette finale au début du troisième set. Alors que Djokovic a lâché le deuxième set (de manière assez peu respectueuse, d’ailleurs) et semble encore un peu déboussolé (blessure suite à une chute ? on ne saura jamais), il entraine Federer dans une sorte de faux rythme alors que le Suisse semble clairement au-dessus tennistiquement. Et Federer se « fait avoir » en n’enfonçant pas le clou par un break dès les premiers jeux de service du Serbe. Peu à peu, le Djoker (re)sort de sa boîte et prouve sa solidité en fin de manche en empochant le tie-break. Là, il y avait une sacrée opportunité que Federer n’a pas réussi à saisir. Au final, le Suisse perd une finale dans laquelle il a obtenu une balle de set dans les quatre dernières manches (plus une balle de break dans le premier set), dans laquelle il domine toutes les statistiques (sauf le nombre de fautes directes, mais le différentiel avec Djokovic est loin d’être énorme) et dans laquelle il a produit par moments un tennis d’exception. Vu comme cela, c’est dur. Voire très dur. Alors, pour toutes ces raisons, oui, juste après le match, je n’ai pas pu m’empêcher d’être déçu qu’il soit passé si près de remporter un vingt-et-unième Grand Chelem, à presque trente-huit ans. Mais je me suis presque surpris moi-même en passant très rapidement dans un autre état d’esprit.

Revers

Philosophe

« Je n’ai plus rien à demander de la part de mon joueur préféré », écrivais-je il y a maintenant plus de deux ans et demi. D’abord, c’est une phrase que je trouve aujourd’hui un peu absurde (ah l’euphorie nous fait écrire parfois des idioties !) car on n’a rien à « demander » à un sportif que l’on admire. C’est lui qui nous donne du plaisir et c’est la seule chose que l'on doit attendre. Il ne doit rien à ses fans. Ensuite, encore plus que ce que je le croyais, je m’en tiens à cette ligne depuis plus de deux ans et même si, au cours des tournois joués par Federer, je me prends à rêver d’un nouveau sacre (parfois à raison, comme à Wimbledon 2017 ou à l’Open d’Australie 2018), j’arrive à bien plus relativiser ses défaites, même les plus terribles (Anderson à Wimbledon 2018 ou Millman à l’US Open la même année, il y’avait quand même de quoi être sacrément dépité). Ce n’est même pas que je m’oblige à penser comme cela mais je crois que j’ai atteint une certaine « maturité » dans ma « relation » avec Federer (les guillemets sont très importants !) et, si ses accomplissements me procurent toujours autant de plaisir, ce qu’il rate me touche moins. C’est donc finalement « tout bénef » pour moi !

Je suis sa carrière de très près depuis le début et je me considère comme un vrai fan depuis une quinzaine d’années. Depuis dix ans, je pense que j’ai dû voir environ la moitié de ses matchs en direct (ou pas loin) et presque l’intégralité à travers le prisme déformant des « highlights ». J’ai donc vécu à peu près toutes les situations, celles où il passe tout près de la victoire avant de perdre ou celles où, à l’inverse, il frôle le bord du précipice avant de s’en sortir. Je l’ai vu gagner en jouant mal (voire très mal), perdre en pratiquant un tennis d’exception. Bref, je pense que j’ai été dans tous les états possibles devant ses matchs et ça m’aide aujourd’hui à ne plus être autant dépendant émotionnellement d’une victoire ou d’une défaite de mon joueur préféré. Et puis, il y a aussi la vie en général qui aide à relativiser tout cela. Le sport doit rester du plaisir et il y a bien des choses beaucoup plus importantes dans la vie personnelle et même dans le monde en général qu’un résultat, même si la passion est parfois difficile à mettre de côté. Je me dis finalement que la fin de carrière de Federer est proche (même si, en fait, on n’en sait rien avec un tel phénomène) et qu’il faut juste profiter de le voir encore évoluer et tout simplement être heureux d’avoir « décidé » il y a presque vingt ans qu’on allait supporter ce jeune suisse qui portait alors le catogan et qui commençait à signer de belles performances.

Poing serré


Admiratif

Parce qu’il ne faut pas oublier une chose essentielle : Federer aura trente-huit ans dans moins d’un mois et il a débuté sa carrière professionnelle il y a plus de vingt ans. Depuis deux décennies, il enchante la planète tennis (et même la planète sport en général) en gagnant des titres mais, surtout, en donnant beaucoup de bonheur aux gens. Car, plus encore que le palmarès ou que les records en pagaille, Federer représente une certaine idée du tennis et de l’élégance qui y est associée : un tennis créatif et offensif, fait de montées au filet, de variations, d’une palette de coups presque infinie, et d’une certaine dose d’improvisation. Bref, un tennis qui se rapproche d’une forme d’art. Et ce tennis est malheureusement en voie de disparition, à la fois du fait d’une uniformisation des surfaces (le gazon londonien de 2019 est un lointain cousin de celui des années 90…) mais aussi de la prédominance aujourd’hui d’un style de joueurs que l’on peut qualifier de défenseurs-contreurs, dont Djokovic est depuis maintenant dix ans le plus digne représentant (Nadal, c’est encore un peu à part). Même si je reconnais les qualités qu’il faut pour exceller dans ce domaine, j’ai beaucoup de mal à trouver du plaisir en regardant ce genre de joueurs, qui ne possèdent que trop peu de créativité et qui se basent avant tout sur leurs qualités physiques pour étouffer l’adversaire. Cette finale de Wimbledon, qui s’est avérée une opposition de styles assez impressionnante, m’a encore renforcé dans cette idée que le tennis que j’aime ne survivra pas bien longtemps, sauf si une nouvelle génération décidée à renverser la table pointe le bout de son nez (je crois assez en Tsitsipas même si, pour le coup, son comportement global commence à m’agacer).

C’est pour cela qu’il faut à tout prix profiter de Federer et être admiratif de ce qu’il produit tant qu’il peut encore le faire. Physiquement, il a l’air encore très bien et peut nous offrir encore quelques années de ce feu d’artifice tennistique. Ou pas. Peut-être mettra-t-il fin à sa carrière à la fin de cette saison, ou de la suivante ? On n’en sait rien et cette incertitude renforce ma propre conviction qu’il faut juste jouir du Federer présent, et ce même dans ses défaites les plus cruelles et se souvenir de ses plus beaux points (hier, il y a encore quelques pépites). Si on écoutait la majorité des spécialistes depuis dix ans, il devrait être fini, ne plus jamais être en capacité de remporter un Grand Chelem et se battre pour de simples accessits afin d'éviter une fin de carrière en chute libre. Et puis, la réalité, c’est qu’il continue à gagner des trophées, à remporter des batailles homériques, et, surtout à régaler avec un jeu de plus en plus offensif et créatif. Soyons donc juste heureux de le voir encore évoluer à ce niveau à son âge, de nous offrir des moments de grâce et de nous procurer des émotions uniques. Personne (moi y compris) n’aurait cru ça possible il y a même cinq ans. C’est pour cela que, même après la défaite terrible d’hier, je suis finalement comblé et serein.


Combatif




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