L'Article
Suite à un parcours relativement chaotique (avec une seule victoire en six matchs au terme des quatre-vingt-dix minutes réglementaires), le Portugal se retrouve à jouer une finale chez le pays hôte, la France, invaincu sur cette compétition et qui a sorti en demi-finale le Champion du Monde en titre, l’Allemagne. Pour un grand nombre de Portugais qui vivent en France (environ 1,5 millions de personnes), c’est une finale rêvée. C’est également l’occasion pour le pays d’obtenir son premier titre majeur dans un sport collectif, tout en brisant la malédiction face à la France. Pour les Français, c’est la possibilité de perpétuer une tradition qui veut que, tous les seize ans, l’équipe nationale remporte l’Euro...
Alors qu’un peu de temps a passé depuis la fin de cette finale, j’ai encore beaucoup de mal à mettre des mots sur cette soirée et mon esprit n’est pas tout à fait prêt à écrire un bilan bien ordonné comme j’ai pu le faire précédemment. Et cela pour deux raisons. La première tient évidemment dans la tristesse qui m’habite depuis hier soir. Bien sûr, il y a bien des choses plus importantes qu’un Euro de football et d’autres raisons d’être malheureux mais cette défaite m’a quand même mis un petit coup au moral. La deuxième raison est plus liée au match en lui-même : en effet, même en y repensant bien (et c’est douloureux de le faire), c’est une confrontation sur laquelle j’ai beaucoup de mal à me faire une véritable idée… Pour essayer d’être le plus clair possible à propos de cette rencontre, ce bilan se fera sous forme de questions/réponses (au nombre de neufs) autour de points clés de cette partie. En espérant que ça vous convienne ainsi mais je n'arrive de toute façon pas à mieux ordonner mes idées !
Les Français ont-ils correctement attaqué le match ?
Sans contestation possible, ce sont les Bleus qui ont mieux démarré cette finale. Peut-être sur l’euphorie de leur victoire contre l’Allemagne trois jours auparavant et portés par un public plutôt chaud, ils ont imposé un pressing énorme aux Portugais, qui eux, pour le coup, semblaient complètement perdus sur le terrain, multipliant les mauvais choix et les erreurs techniques. Pendant dix minutes, cette partie a vraiment ressemblé à un match entre deux équipes qui n’ont pas du tout le même niveau. Et c’est finalement la blessure de Cristiano Ronaldo et le faux-rythme qui s’en est suivi qui a calmé les ardeurs des Français, même si Griezmann a fortement inquiété Rui Patricio dans la minute suivante. Dommage car je suis persuadé qu’en continuant avec cette intensité, la défense portugaise allait rompre. Le Portugal a eu le mérite de ne pas s’affoler et d’en revenir à ce qu’elle sait faire de mieux depuis quelques matchs : garder le ballon et ne rien en faire pour éviter de subir les assauts tricolores.
Quel impact a eu la sortie de Cristiano ?
Entre le coup reçu par Cristiano Ronaldo (sans faute de Payet, même s’il y a de l’engagement de la part du Français) et sa sortie effective du terrain, il s’est passé seize minutes (entre les huitième et vingt-quatrième minutes). Pendant tout ce temps, il a essayé de jouer avec la douleur, sans que cela ne fasse vraiment sens puisqu’à chaque accélération, il ne pouvait suivre ses coéquipiers. Sorti en sanglots, il a ensuite encouragé ses coéquipiers depuis le banc, ne tenant pas en place auprès de son sélectionneur. Son remplacement a obligé Fernando Santos à repenser son équipe qui s’est alors transformée en 4-3-3, Renato Sanches repassant davantage dans le cœur du jeu. Sans leur star, les Portugais ont également semblé un peu plus prudents. Ce genre d’événements lors d’un match de cette importance a également forcément un impact psychologique très compliqué à mesurer. Ce que l’on peut dire, c’est que l’équipe est restée soudée et n’a pas sombré après la perte de celui qui devait les emmener au titre. On ne saura jamais ce qui serait advenu sans cette blessure mais j’ai le sentiment que la France aurait été plus proche de l’emporter avec Ronaldo sur le terrain.
Qui ont été les meilleurs Français ?
Pendant une mi-temps, on n’a vu qu’un seul homme sur le terrain et pas forcément celui que l’on attendait. En effet, Moussa Sissoko n’était pas appelé à être la star de cette rencontre mais il a eu un impact incroyable lors des quarante-cinq première minutes : récupérant des ballons, transperçant les lignes (avec trois rushs mémorables) et même finissant des actions (avec cette frappe en pivot magnifique). S’il n’a pas toujours été juste techniquement et qu’il a été un peu moins présent par la suite (si ce n’est une frappe de loin dangereuse), il a quand même éclaboussé sa finale de sa puissance physique. Chacun dans leur rôle, Matuidi, Sagana et Evra sont à créditer de bonnes prestations. Giroud a fait ce qu’il a pu devant et Griezmann n’a pas assez pesé devant même s’il a été vraiment juste dans le jeu. Leurs occasions ratées (la plus grosse étant sans doute la tête non cadrée de Griezmann à l’heure de jeu) pèsent quand même très lourd dans la balance au final.
Qui a déçu côté français ?
Au rayon des déceptions, on peut noter la prestation encore très moyenne de Payet, bien moins en forme depuis le début des matchs à élimination directe. Après un premier quart d’heure de bonne qualité, il a plongé pour ne plus jamais réapparaître, visiblement pas au top physiquement. Son remplaçant, Coman, a alterné le très bon (sur certains passages) et le bien plus quelconque (un peu trop souvent). Pogba a livré un match « pogbesque », c'est-à-dire bien trop paradoxal pour être convaincant. Capable de régaler avec des transversales splendides, il a aussi disparu pendant de longues minutes. Derrière, Koscielny n’a été pris en défaut qu’une fois, sans doute craintif après le carton jaune (immérité) reçu deux minutes plus tôt mais c’est sur celle-ci qu’Eder a marqué. Sur ce but, j’ai encore du mal à me faire une idée sur la possibilité pour Lloris de faire un peu mieux et sur le rôle qu’Umtiti aurait pu avoir pour mieux bloquer l’axe. Pour ces trois-là, cette action restera comme une tâche sur un bilan plutôt positif sur ce match même si l’entrée d’Eder leur a posé de grosses difficultés.
La dimension physique a-t-elle eu son importance ?
On ne va pas dire que c’est un avantage d’avoir deux jours de récupération plutôt que trois avant une finale et il faut tout de même s’interroger sur la pertinence de ce calendrier de la compétition, pour laquelle il aurait été bien plus judicieux de faire jouer les demi-finales les mardi et mercredi. Mais je suis persuadé que ce n’est pas cela qui explique la défaite française. D’autant qu’il ne faut pas oublier que les Portugais ont joué deux fois les prolongations lors des tours précédents. Sur une finale, l’importance de l’événement et l’adrénaline permettent de beaucoup compenser un éventuel déficit physique. Peut-être les Français ont-ils quand même manqué d’un peu de jus, notamment en toute fin de match, pour faire basculer la rencontre mais ils ont globalement été présents physiquement. Matuidi et Sissoko ont même mangé le milieu portugais pendant une bonne partie du match et j’ai trouvé pas mal de joueurs bien plus en forme qu’au début de la compétition (Sagna ou Evra par exemple), signe d’une préparation physique bien réussie.
Fernando Santos a-t-il remporté son match contre Deschamps ?
Même si je n’aime pas personnifier le débat comme cela, le rôle des sélectionneurs a été primordial lors de cette finale et, de façon assez nette, le Portugais a dominé le Français. Obligé de s’adapter après la sortie de Cristiano, Fernando Santos a changé son fusil d’épaule en revenant à une tactique abandonnée depuis longtemps par sa sélection : le 4-3-3. Si le milieu de terrain n’a pas été hermétique (les percées de Sissoko en sont la meilleure preuve), cette organisation a semblé apporter plus de stabilité à l’ensemble. Mais le Portugal ne s’est pas arrêté là et a continué d’évoluer au fil de la rencontre, avec un coaching offensif qui a fait très mal aux Bleus. En effet, en faisant entrer Moutinho puis Eder à la place de Renato Sanches, il a mis dans le jeu un technicien et un véritable numéro 9, capable de jouer en déviation. Avec Quaresma et Nani autour pour récupérer les deuxièmes ballons, les Portugais ont été plus dangereux et ont fini par transpercer le rideau français. Deschamps, lui, a effectué son coaching « habituel », sans évoluer tactiquement et a du réagir en toute fin de match alors que la situation devenait critique.
Le titre du Portugal est-il une surprise ?
Bien sûr, le Portugal est une valeur sûre au niveau européen, régulièrement au moins en quarts de finale des grandes compétitions, mais, au début de l’Euro, il ne faisait pas partie des favoris et je n’avais entendu personne parler de cette équipe comme d’un potentiel vainqueur. De mon côté, j’en faisais un outsider, au même titre que l’Italie, l’Angleterre, la Belgique ou encore la Croatie. Alors, forcément, voir la Seleção sur le toit de l’Europe est un motif légitime d’étonnement. Ça l’est d’autant plus quand on se souvient comment les Portugais ont atteint les demi-finales : trois matchs nuls au premier tour qui les auraient éliminé dans les compétitions précédentes, puis une victoire au bout des prolongations face aux Croates puis aux tirs aux buts contre la Pologne. Il y a encore deux semaines, pas grand monde ne donnait cher de la peau de cette équipe qui a eu le mérite de croire en elle et de se réinventer en se reposant intelligemment sur ses forces, sans se prendre pour ce qu’elle n’était pas, à savoir une équipe joueuse. Et dans une compétition où aucune équipe ne domine véritablement, tout devient possible. Ils l’ont prouvé.
Etait-ce une grande finale ?
Selon que l’on se place du côté portugais ou français, la réponse sera forcément différente. Pour les Lusitaniens, le match de leur premier titre majeur dans le sport roi restera forcément dans la mémoire collective. Du côté français, on ressassera pendant longtemps ces occasions manquées et ce destin qui a semblé vouloir échapper aux Bleus et on essaiera d’oublier ce douloureux moment. Si l’on essaie de se placer dans une posture neutre, par exemple celle d’un amateur de football britannique ou italien, je ne suis pas persuadé que la partie ait répondu à tout ce que l’on peut attendre d’une finale. Même si les espoirs d’un match hyper-offensif n’étaient pas les plus élevés, on a quand même assisté à une finale relativement fermée, sans qu’elle soit complètement ennuyeuse, puisque quelques actions, principalement françaises, sont venues égayer les mi-temps. Techniquement, ça n’a quand même pas été du très grand football même si l’intensité des grands rendez-vous était présente. Et, comme on le dit souvent, pour faire un bon match, il faut deux équipes qui ont envie de jouer et, sans vouloir paraître mauvais joueur, les Portugais n’étaient pas vraiment dans cet état d’esprit… Finalement, c’est un peu une finale à l’image d’un Euro qui a plutôt mis en valeur les équipes qui défendaient plutôt que celles habitées par un état d’esprit plus offensif. C’est dommage mais c’est aussi le symbole d’une évolution vers un football de plus en plus calculateur…
Les Français ont-ils fait un bon match ?
C’est finalement la seule question qui vaille et la plus importante, celle qui découle de toutes les précédentes. Mais c’est aussi celle sur laquelle j’ai le plus de mal à me faire une véritable opinion depuis hier soir. Si on se refait le match dans la tête, rapidement, on se dit qu’il est difficile de reprocher quoi que ce soit aux Bleus. Ils ont essayé de jouer, ils ont dominé les Portugais, ils n’ont pas été chanceux, ils sont tombés sur un gardien en grande forme et ils ont tout donné physiquement pour faire basculer cette finale. Et, pourtant, c’est comme s’ils n’avaient jamais réussi à renverser un destin qui semblait contraire, car quand un match se déroule de cette manière, c’est rare que ce soit l’équipe qui le domine qui en sorte vainqueur. Ainsi, mises à part les cinq premières minutes, les Bleus n’ont jamais été capables de réellement pousser et mettre sous pression l’arrière-garde portugaise pendant une longue période et on a toujours senti qu’ils n’osaient pas complètement se livrer. Plus je repense à cette rencontre, plus j’ai une sensation que j’ai du mal à verbaliser : celle qu’il a manqué aux Bleus quelque chose de supplémentaire pour passer le cap. Est-ce du talent ? De l’envie ? Du physique ? Ou tout simplement de la chance ? On ne le saura jamais et ce n’est pas forcément utile d’y repenser…
Le joueur : Rui Patricio
Alors qu’il n’avait pas vraiment fait parler de lui depuis le début de l’Euro, le gardien du Sporting Lisbonne est clairement sorti du bois lors de cette finale. Au bout de dix minutes, il sort une tête magnifique de Griezmann et on a le sentiment que cela l’a mis dans son match. Il n’en est plus jamais sorti, multipliant les parades, plus ou moins compliquées, devant Giroud, Griezmann ou Sissoko par deux fois. Et comme un grand gardien n’est rien sans un peu de réussite, il a également été sauvé par son poteau en toute fin de match sur une tentative de Gignac. D’accord, Eder sera éternellement le héros de la soirée avec son but marqué mais si le Portugal a pu encore être dans le coup après quatre-vingt-dix minutes, il le doit en grande partie à la performance majuscule de son gardien !
La note du match : 6/10