L'Article
C’est le récit d’une période de la vie de l’auteur, un moment où trois événements qui semblent distincts se produisent presque simultanément : le début d’une quête des origines, avec l’image de ce grand-père russe ; le tournage d’un reportage en plein cœur de la Russie ; une histoire d’amour qui finit mal. Sans détour aucun, Carrère se livre sur ces instants qui l’ont profondément changé en tant qu’homme mais aussi en tant qu’écrivain.
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Après avoir lu rapidement La classe de neige – dont je n’ai pas envie de dire grand-chose, si ce n’est que c’est un livre qui met extrêmement mal à l’aise par l’ambiance toujours tendue qu’il dépeint –, je me suis attaqué à Un roman russe, qui est considéré comme un véritable tournant dans la bibliographie de Carrère. En effet, après L’adversaire qui traitait de l’histoire de Jean-Claude Romand, mais aussi de ce qu’elle faisait résonner en lui, l’écrivain n’écrira plus que des récits (et non plus des romans de fiction) : D’autres vies que la mienne, Limonov ou (encore plus) Le Royaume s’appuient très fortement sur la vie de l’auteur et il n’hésite pas à exprimer ses propres sentiments et à relier ce qu’il raconte à des événements très personnels. Et c’est sans aucun doute ce Roman russe qui marque le plus cette rupture. Car s’il y a bien une œuvre personnelle dans la bibliographie d’Emmanuel Carrère, c’est bien celui-ci. Et ce qui est peut-être le plus impressionnant, c’est que l’on a réellement l’impression quand on le lit que l’auteur lui-même ne sait pas véritablement ce qu’il veut faire de ce qu’il écrit.
En effet, c’est un mélange parfois assez détonnant de plusieurs choses, le tout s’entremêlant de manière pas toujours facile à perçevoir. La première sur laquelle se base tout de même l’essentiel est le récit de ce voyage en Russie dans le cadre du tournage d’un documentaire (qui sortira finalement au cinéma). Cette escapade dans le pays de ses ancêtres (sa mère, la célèbre académicienne Hélène Carrère d’Encausse est russe par son père) lui fait revenir le besoin de comprendre un secret fortement enfoui sur ce grand-père, figure imposante de toute la famille. Il se remet donc à apprendre la langue russe. Cela pendant qu’il entretient une relation amoureuse avec une certaine Sophie, relation qui va peu à peu se dégrader pour finir par se désagréger totalement. Emmanuel Carrère a une force : celle d’être en capacité de donner l’impression de raconter une histoire alors qu’au fond, c’est de sa vie dont il parle de manière presque romanesque. Même si l’ensemble est plutôt réussi et même émouvant par moments (Carrère sait écrire, on ne le dira jamais assez), j’ai personnellement été assez gêné par toute la partie amoureuse qui est par moments extrêmement intime, voire franchement érotique. Evidemment, ce n’est pas à proprement parler du voyeurisme puisque l’auteur est acteur de ce qu’il raconte, mais quand même, ça a parfois un côté trop personnel. C’est aussi la marque de fabrique de cet écrivain qui, en se livrant complètement, nous offre aussi de vrais beaux moments de lecture.
« Tu étais fière que je devienne écrivain. Il n'y a rien de mieux, à tes yeux. C'est toi qui m'a appris à lire et à aimer les livres. Mais tu n'as pas aimé la sorte d'écrivain que je suis devenu, la sorte de livres que j'ai écrits. Tu aurais voulu que je sois un écrivain comme, je ne sais pas, Erik Orsenna : un type heureux ou qui, en tout cas, le parait. Moi aussi, j'aurais bien voulu. Je n'ai pas eu le choix. J'ai reçu en héritage l'horreur, la folie et l'interdiction de les dire. Mais je les ai dites. C'est une victoire. »
Emmanuel Carrère livre ici une œuvre profondément personnelle avec une sorte de récit autobiographique, fait d’aventures mais aussi de déchirements et de questionnements intimes. C’est souvent assez impressionnant et captivant mais aussi parfois particulièrement déroutant dans cette manière qu’il a de nous faire pénétrer son intimité.