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TimFaitSonCinema
Pendant un an, Julie Bertuccelli a posé sa caméra dans une classe d’accueil de collège. Ce sont des enfants qui arrivent de tous horizons et qui apprennent dans cette classe à parler français avant d’être progressivement intégrés dans les cours traditionnels.
Verdict:

Bien plus qu’un simple documentaire, La Cour de Babel est une formidable leçon de vie. Sans doute (trop) idéaliste, ce film est en tout cas très beau et extrêmement touchant. Il redonne foi en une certaine idée de la France, ce qui, en ce moment, n’est pas la chose la plus inutile…

Coup de coeur:

L’émotion qui parcourt tout ce documentaire

La date de sortie du film:

12.03.2014

Ce film est réalisé par

Julie BERTUCCELLI

Ce film est tagué dans:

Documentaire

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 La Critique


Alors là, pour une surprise, c’est une surprise. En effet, s’il y a bien un film devant lequel je ne m’attendais pas du tout à prendre une telle claque, c’est bien celui-là. Et pourtant, pour dire les choses d’emblée, très rarement un film m’a autant ému, retourné et finalement vraiment touché que celui-ci. De Julie Bertuccelli, j’avais le souvenir d’un long métrage largement oubliable bien que pas mal réalisé (L’arbre avec Charlotte Gainsbourg) et c’était tout. Il faut dire que sa filmographie en termes de longs métrages de fiction se résume donc à ce film tourné en Australie et à Depuis qu’Otar est parti qui avait remporté le César du Meilleur premier film en 2004. Le vrai fonds de commerce de Julie Bertuccelli, c’est en fait le documentaire puisqu’elle en a réalisé une dizaine pour la télévision depuis le début des années 90. Avec La Cour de Babel elle revient donc à ses premières amours et c’est la première fois qu’elle tourne un documentaire pour le cinéma. Et, visiblement, la recherche de financements n’a pas été simple puisque toutes les télévisions ont refusé son projet (même si Arte a fini par s’y mettre à la fin) et que le film a été très long à sortir (puisque filmé au cours de l’année scolaire 2011/2012). Pourtant, c’est étrange que tout le monde ait été aussi frileux car, ces derniers temps, les documentaires autour des questions d’éducation marchent plutôt bien. Il suffit de voir l’immense succès qu’avait pu avoir en son temps Etre et avoir ou encore, dernièrement, le succès public (plus d’un million d’entrées) et critique (César du meilleur documentaire) de Sur le chemin de l’école. La Cour de Babel est donc finalement sorti un peu de nulle part et c’est sans aucun doute la surprise majuscule de ce début d’année de mon côté. Jamais je n’aurais pensé qu’un documentaire puisse me faire cet effet-là…

D’entrée de jeu, on se retrouve au cœur de cette classe un peu particulière puisque ses occupants sont tous étrangers et que, s’ils sont là, c’est qu’ils apprennent la langue française en vue d’intégrer une scolarité « normale ». Cela forme une mosaïque de couleurs et de genres différents puisque tous les continents, les styles de vie et les situations différentes (il n’y a pas que des pauvres réfugiés, loin de là) se rencontrent. Pendant tout le film, on ne les verra uniquement dans cette salle, avec toujours la même professeure (personnage central sur lequel nous reviendrons). Les seules échappées auront lieu vers la fin du film mais toujours dans la cadre scolaire (un festival de cinéma scolaire et le passage de l’examen de maîtrise de la langue française). En dehors de la salle de cours, le film est aussi entrecoupé de plans en plongée de la cour du collège avec, en fond, la musique composée par Olivier Daviaud. Ces courtes séquences servent finalement à découper le film en différents chapitres qui sont autant d’étapes de l’année scolaire. On voit ainsi défiler les saisons mais, surtout, évoluer cette classe. Car c’est bien là le cœur du film. Ce documentaire est d’ailleurs construit de façon assez « rigoureuse » puisqu’on voit, dans chacun des chapitres, une séquence collective où la classe est regroupée, souvent autour d’un unique thème (la découverte des autres, la religion,…) puis une autre où il s’agit d’entretiens entre la professeure et les parents d’élèves, en présence de ces derniers (qui servent souvent d’interprète à leurs parents). Ce sont deux aspects très différents de la vie de cette classe et ils sont parfaitement complémentaires. Et ce sont ces entretiens individuels qui nous permettent d’appréhender réellement ces jeunes adolescents et c’est à ce moment-là que l’on saisit véritablement des fêlures qui apparaissent parfois de manière imperceptible. Misère, tristesse, violence ou déracinement sont autant de termes qui correspondent aux parcours chaotiques de ces jeunes mais aussi de leur famille, puisque des confessions très fortes de la part des adultes sont parfois faites au détour d’une phrase.

La réalisatrice fait le choix très clair de s’intéresser uniquement aux élèves et à cet endroit spécial que constitue cette salle et sans utiliser aucune voix-off ni même d’interviews. Toutes les séquences sont donc prises sur le vif. L’intégration de ces jeunes dans l’univers du collège est à peine évoquée, mais jamais montrée, tout comme celle au sein du pays. On ne sait rien de la place véritable qu’ils se sont trouvés ou qu’ils essaient de se trouver en France. C‘est un parti-pris que je trouve intéressant car il permet vraiment de ne pas trop se disperser (et possiblement rentrer dans des polémiques vaines) même si le champ des thèmes abordés est très vaste, notamment lors de débats animés et parfois cocasses entre les élèves eux-mêmes. Le but de cette démarche de réalisation est de former un véritable microcosme où, très vite, le spectateur se sent à l’aise. On a rapidement la sensation de faire partie de cette classe, d’une autre manière certes que la place qu’occupent les élèves ou la professeure mais jamais on ne se sent en position d’intrus. C’est sans doute pour cela que le film m’a autant touché et ému. Beaucoup de passages sont en effet très intenses : le départ d’une jeune Lybienne adorable (et à laquelle on s’est vraiment attaché) vers la ville de Verdun devient ainsi un vrai drame, tout comme cette fin d’année où les adieux sont déchirants et révélateurs des liens uniques qui ont pu se créer et dont on a l’impression qu’ils se sont aussi tissés avec nous. Certains passages sont aussi incroyables de sincérité et de beauté pure. J’ai encore en mémoire (et sans doute pour longtemps) le regard d‘un père sur sa fille qui est complimentée pour son travail et son attitude. C’est tout simplement grand et c’est le genre de scènes qu’aucun acteur ne peut vraiment reproduire et qui font de cette Cour de Babel un documentaire d’une force exceptionnelle et qui, finalement, dépasse ce que l’on peut attendre de ce genre souvent un peu froid et manquant d’émotions.

Dans cette manière de rester à l’intérieur de la classe et de ne jamais en sortir, on peut penser au travail effectué par Laurent Cantet dans le réussi Entre les murs, film de fiction, lui, mais qui était aussi un peu basé sur le même principe. S’il devait y avoir une différence fondamentale entre les deux, ça serait celle de la place accordé au professeur. En effet, s’il est très présent à l’image dans le long métrage de Cantet, ici, on voit très peu cette femme mais on entend par contre très souvent sa voix (après Her, je me dis que c’est décidément à la mode…) et elle a un rôle capital car c’est elle qui mène véritablement cette classe et permet la progression de chacun dans le respect des différences. Il y a juste à la fin où on la voit davantage dans une séquence extrêmement forte (puisqu’elle quitte son poste pour devenir inspectrice). Elle devient presque l’égale d’élèves qu’elle a accompagnés pendant toute l’année. C’est encore un passage très émouvant, un de plus, et qui conclut en beauté ce film. Ce que l’on peut reprocher à La Cour de Babel, c’est d’être d’une certaine manière presque utopique. En effet, la classe qui est montrée ne représente pas une généralité mais bien une exception (un dispositif particulier, de ce que j’ai pu comprendre), ce qui, évidemment, fait perdre un peu de force au propos. On ne peut pas prendre celui-ci comme une vision d’ensemble mais bien comme un cas particulier. Ce n’est pas expliqué d’entrée de jeu puisqu’on plonge directement au cœur de cette classe et on peut d’une certaine manière le regretter. Mais, en même temps, aussi « idéalisée » qu’elle soit, la classe montrée dans ce film est tout simplement belle et donne d’une certaine manière foi en la jeunesse, foi en la fraternité, foi en l’avenir, foi en la France et foi en l’école. Rien que ça ! En effet, on suit des jeunes qui sont heureux d’être en classe et qui ont la volonté d’apprendre. Tout ça est peut-être rare ou exceptionnel mais, en tout cas, La Cour de Babel a réussi à vraiment me redonner du peps et une certaine espérance dans une société qui, parfois, me défrise un peu. Et je n’aurais jamais cru cela en rentrant dans la salle. Magie du cinéma…




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