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TimFaitSonCinema
Saul est Sonderkommando à Auschwitz. Juif, il doit assister les nazis dans leur processus d’extermination. Alors qu’il effectue sa tâche dans un crématorium, il croit reconnaître dan le corps d’un garçon son propre fils. Son seul objectif sera alors de lui donner une sépulture correcte, malgré les dangers…
Verdict:

Devant Le fils de Saul, on n’arrive même pas à réellement se poser la question de savoir si c’est un bon ou un grand film, tant l’objet dépasse de loin cette simple question. On prend juste une immense claque devant ce qui apparaît assez évidemment comme une œuvre majeure et indispensable, de celles que l’on ne pourra jamais oublier.

Coup de coeur:

Le traitement d’un sujet complexe

La date de sortie du film:

04.11.2015

Ce film est réalisé par

László NEMES

Ce film est tagué dans:

Drame historique

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 La Critique


S’il y a bien un sujet qui a été traité de très nombreuses fois au cinéma, c’est bien celui de la Seconde Guerre Mondiale et plus particulièrement ce qui concerne la Shoah. Il faut bien dire que c’est quelque chose d’absolument essentiel dans l’histoire de l’humanité et que cette période, par son atrocité et son caractère extrêmement marquant, permet des points de vue très différents. Ainsi, les réalisateurs s’en sont emparés de très nombreuses manières, que ce soit sous forme de documentaire (on pense évidemment à Nuit et brouillard ou à Shoah) ou de comédie dramatique (l’étonnant et bouleversant La vie est belle), en s’intéressant à une personne en particulier (La liste de Schindler ou Le pianiste) ou en essayant d’analyser les conséquences historiques de cette période (Le labyrinthe du silence). Toutes ces œuvres posent à leur façon une question essentielle et quasiment philosophique : le cinéma, en cela qu’il est une construction artistique, peut-il représenter l’horreur de cette période ? Et les débats ont été très nombreux autour de cette interrogation avec, par exemple, un Claude Lanzmann pour qui l’holocauste ne devait pas être affaire de fiction et d’autres pour qui la recherche esthétique ne pouvait pas aller de pair avec une évocation « honnête et réaliste » de cette période. Vaste débat, très compliqué, et qui dépend en fait beaucoup de la sensibilité du spectateur devant chacune des œuvres dont il est question. Mais il me semble qu’il y a quand même des longs métrages indispensables sur cette période parce que, à leur façon, ils ont réussi à marquer les esprits et à faire prendre conscience au spectateur de ce qui a pu se passer dans ces camps. Soixante-dix ans et presque autant de films après la libération des camps d’extermination, on pouvait se dire qu’il n’y avait plus grand-chose à montrer sur le sujet, ou de façon de le mettre en scène. Et puis se présente Le fils de Saul, qui nous fait reconsidérer une telle vision des choses. Immense claque, le long métrage se pose d’ores et déjà comme un film aussi bouleversant qu’essentiel.

 

Je suis allé assez souvent dans ma vie au cinéma (même si c’est moins le cas maintenant) et, honnêtement, je n’avais jamais ressenti un film si « viscéralement ». Ça m’a pris aux tripes du début à la fin et j’ai mis plus de dix minutes à véritablement m’en remettre, hébété que j’étais, avec l’impression d’avoir pris un choc en pleine tête, sans pouvoir en mesurer la puissance en temps réel. Car c’est aussi là l’un des aspects assez impressionnant de ce Fils de Saul : plonger le spectateur si loin dans l’horreur qu’il ne parvient même plus à prendre du recul avec ce qu’il a devant les yeux. En ce sens, je comprends tout à fait que ce soit un long métrage qui peut mettre très mal à l’aise et qu’il puisse même être littéralement insoutenable pour certains spectateurs. C’est bien pour cela que l’on peut parler de ce long métrage comme véritablement bouleversant. D’ailleurs, à Cannes où il a été présenté en mai dernier, les projections ont, paraît-il, souvent connu des moments de silence assez impressionnants à leur conclusion. Mais après le choc, vient forcément le moment de l’analyse car il est toujours important d’essayer de comprendre ce qui a pu nous toucher dans un film. Là, au-delà d’un sujet rare et important (nous y reviendrons), il y a surtout la maitrise formelle du réalisateur qui s’en tient tout au long de son œuvre à un programme qu’il pense être le seul à même de ne pas trahir ce qu’il veut montrer. Et savoir qu’il s’agit là du premier film d’un réalisateur hongrois a quand même quelque chose de fascinant. Voir en effet un jeune homme de trente-huit ans s’attaquer de cette manière à un sujet aussi complexe avec un tel aplomb et une radicalité aussi assumée prouve bien que, au cinéma, la surprise peut venir de n’importe où et à n’importe quel moment.

 

Là, il suffit d’une seule séquence, celle qui précède le titre du film, pour prendre conscience que l’on se trouve devant une œuvre exceptionnelle. Dans ce long plan séquence qui se vit bien plus qu’il ne peut se raconter (surtout ce dernier plan, qui glace littéralement le sang), l’ensemble de ce qui rend unique ce long métrage est contenu : une façon de filmer singulière, un rythme particulier, un son hyper important, le tout sur un sujet qui n’avait jamais été abordé de cette manière. Car, il faut quand même en parler de ce que raconte Le fils de Saul. En effet, il s’intéresse aux Sonderkommandos, ces Juifs qui étaient obligés d’aider les nazis à mettre en place leur extermination. Ils effectuaient en fait tous les travaux pénibles, autant physiquement que psychologiquement. Leur rôle est assez souvent passé sous silence dans l’histoire de la Shoah, d’abord parce qu’il y a peu de documents sur leur existence mais aussi parce que la plupart de ceux qui ont survécu à cette condition (très peu, en fait) ont essayé de le cacher à la libération des camps. C’est donc un sujet relativement « casse-gueule », puisqu’il convoque une mémoire assez floue. Selon moi, c’est aussi la façon la plus intense de rentrer au cœur de la mécanique d’horreur mise en place par les nazis et c’est sans doute pour cela que László Nemes choisit un tel axe. Mais cela permet aussi à ce scénario d’avoir un point de vue assez particulier, qui donne d’ailleurs beaucoup de sa singularité et son côté impressionnant à ce long métrage : ce n’est pas un film sur la mort mais bien sur les vivants et la façon de résister dans un univers aussi déshumanisé. Si les congénères de Saul se sentent vivants en préparant une tentative d’évasion (épisode véridique) ou en essayant de prendre en photo leurs conditions de vie, Saul, lui, voit un sens dans le fait d’offrir une fin décente à celui qu’il croit être son fils (on ne saura jamais véritablement ce qu’il en est) et il ne voit que cela pour lui rendre sa dignité.

 

Pour mettre tout cela en images, le réalisateur a donc décidé de coller à son personnage central (interprété par le magnétique Géza Röhrig) et de ne pas le lâcher d’une semelle alors qu’il se rend dans différents endroits du camp (le seul reproche à faire se trouve peut-être dans le côté parfois un peu trop mécanique de cette « visite »). Et, avec ce procédé, il montre l’horreur de ce camp à travers les yeux de ce personnage, sans aucune autre échappatoire. Cette mise en scène permet de couper court à tout pathos ou à tout sentimentalisme. Avec ce format presque carré qui réduit considérablement le cadre, cette manière de filmer au plus près du visage et un jeu assez impressionnant sur le flou en arrière plan, cette mise en scène (qui fait presque penser à la vision des jeux vidéos) n’offre presque aucune profondeur de champ et empêche donc souvent de discerner véritablement ce qui se déroule, même si certains éléments terribles sont par moments visibles. Et c’est là que l’on prend conscience de la véritable puissance du hors-champ, ce qui est suggéré étant souvent bien plus terrible que ce qui est effectivement à l’image. Car, jamais sans doute, le spectateur n’avait eu autant la sensation de se retrouver à l’intérieur de la machine de mort nazie. Cette impression immersive est aussi due à un travail extrêmement impressionnant sur le son qui a ici un rôle essentiel. Car si on ne perçoit pas grand-chose visuellement, ce qu’on entend est par contre terrible car c’est là que la violence est la plus nette : cris, coups de feu, panique,… Tout cela se ressent vraiment tout au long du film et c’est aussi cela qui participe au fait que le spectateur soit autant pris par un film duquel il ne peut physiquement et psychologiquement pas s’échapper. Et cela sera le cas jusqu’au bout, avec ce dernier regard qui dit tout. Cette fin est d’une telle puissance qu’elle ne peut confirmer ce qui est une évidence une fois qu’on a réussi à reprendre nos esprits : Le fils de Saul est un film qui fera date et dont on reparlera dans très longtemps. 



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JCT 16.12.2015, 17:41

Tim, je n'ai pas vu le film et je ne suis pas sûr d'avoir les épaules assez larges pour le supporter.
Par contre, je suis impressionné par la qualité de ta critique, en particulier le dernier paragraphe, de très haute volée. Je suis fier de toi et te félicite.


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