La Critique
Forcément, ce nouveau projet de l’immense Terrence Malick est l’un des événements cinématographiques de l’année. Et cela à plusieurs titres. Si, depuis quelques années, le réalisateur américain a « augmenté la cadence », avec trois films depuis 2011 (The Tree of life, A la merveille et Knight of Cups, toujours pas vu) et un autre qui sortira en juillet (Song to Song), une nouvelle œuvre de sa part reste quand même quelque chose de rare. Et ce Voyage of Time a ceci d’encore plus extraordinaire qu’il est sorti en France (et je crois à travers le monde) dans une configuration qui me semble inédite : une séance unique, le même jour et à la même heure, dans environ deux-cent salles. J’ai d’ailleurs du mal à m’expliquer cette façon de faire, si ce n’est pour encore plus événementialiser la sortie de ce long-métrage. D’ailleurs, pour la première fois, Malick ne signe pas un long-métrage de fiction mais ce qui s’apparente bien plus à un documentaire, même si, là encore, le terme n’est pas vraiment approprié pour cette œuvre qui est en fait bien plus que ça. C’est en tout cas un projet que le metteur en scène a depuis de nombreuses années et qui, d’une certaine manière, s’inscrit complètement dans sa filmographie et les thèmes qu’il a eu l’habitude de développer. Ce n’est pas un hasard s’il insérait au cœur de The Tree of Life quelques minutes consacrées à des images montrant la formation de la Terre et les premiers pas des organismes vivants. Cela avait fait d’ailleurs à l’époque beaucoup parler (que n’a-t-on pas entendu sur l’apparition des dinosaures ?). Avec les technologies actuelles, notamment le numérique, Malick a enfin pu aller au bout de son idée et livrer sans doute le film dont il rêvait. Est-ce pour autant une œuvre exceptionnelle ?
D’abord, il faut très rapidement se mettre d’accord sur la définition même de ce Voyage of Time, car c’est loin d’être neutre dans l’analyse que l’on peut en faire par la suite. On peut dire d’une certaine manière que c’est un documentaire car il ne s’agit en aucun cas d’un film de fiction et que la plupart des images ont été tournées sur la Terre. Pour autant, Malick n’a d’aucune façon une visée informative avec son œuvre : il ne veut pas montrer la Terre telle qu’elle est ou expliquer sa formation mais plutôt donner sa propre vision du Monde, de sa création à sa fin. Ainsi, plus qu’un documentaire, on peut plutôt parler de ce long métrage comme d’une longue contemplation excessivement personnelle. On retrouve ainsi le mysticisme et le religieux qui sont l’une des composantes très importantes dans toute l’œuvre du metteur en scène américain. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la voix-off (Cate Blanchett s’en occupe) n’est qu’en fait qu’une longue prière adressée à une « Mère » qui s’avère sans doute être la Planète. D’ailleurs, cette voix-off, bien que finalement peu présente, est parfois un peu pesante et rajoute un côté pompeux qui n’est pas forcément nécessaire. Je pense que j’aurais presque préféré le film sans… Pendant quatre-vingt dix minutes, Malick ne va jamais transiger avec son projet de départ, nous montrant sa vision de l’histoire de la Terre, de sa formation à sa fin, en passant par la mise en place des organismes vivants puis l’apparition de l’homme (pas la meilleure partie, pour être honnête). Il y a aussi quelques intermèdes filmés au caméscope et qui semblent plus anciens, montrant des communautés humaines, souvent pauvres, qui vivent sur notre planète. On ne sait pas forcément ce qu’ils signifient, mais cela s’inscrit dans la logique d’un long métrage où le réalisateur laisse le soin au spectateur d’interpréter ce qu’il voit devant ses yeux : ode à l’écologie ? Longue prière ? Critique du monde actuel ? Voyage of Time est tout à la fois cela et rien de cela…
Par son côté radical, cette œuvre a un côté déroutant qui peut laisser beaucoup de monde sur le bord du chemin. Il faut vraiment se mettre dans un certain état d’esprit pour apprécier ce long métrage et, pour moi, ça n’a pas été très dur. Il a suffi de quelques images au début pour comprendre que, une nouvelle fois avec ce réalisateur, j’allais prendre une claque visuelle. Et, de ce côté-là, je n’ai pas pu être déçu, tant la qualité d’images est globalement exceptionnelle. Malick a une façon de filmer la nature qui lui est propre avec des plans serrés toujours en mouvement associés à des objectifs grand angle qui magnifient toutes les séquences. Que ce soient des volcans, des bactéries ou des fonds marins, tout est splendide. D’ailleurs, quand Malick s’aventure du côté des images numériques, l’ensemble est un peu moins convaincant. Le tout se fait sur une bande son de musique classique qui laisse souvent sa place à la mélodie de la nature. Les dix dernières minutes, sur fond de Bach, sont vraiment à couper le souffle et m’ont laissé presque hébété de tant de beauté. Ce qui est certain, c’est que, encore plus que les autres films de Malick, ce Voyage of Time ne peut pas laisser indifférent et, d’une certaine manière, il ne peut que mettre d’accord ceux qui ont déjà un jugement définitif sur le réalisateur américain, qui est aujourd’hui l’un des plus clivants. Ceux qui apprécient son travail trouveront cette œuvre réussie et presque essentielle dans sa filmographie. Ceux qui ne l’aiment pas y verront plutôt quelque chose de grandiloquent et de raté. Personnellement, je fais partie de la première catégorie et, pour moi, Voyage of Time est un film exceptionnel, au sens qu’il ne ressemble à rien d’autre. C’est finalement dommage qu’il n’y ait eu qu’une séance, surtout parce que c’est un long métrage qui s’appréciera forcément beaucoup moins bien en dehors du cinéma. Comme toute la filmographie de Malick, d’ailleurs…