La Critique
Whiplash est un exemple typique du film que l’on voit venir de très très loin puisque, à peu de choses près, cela fait un an que l’on en entend sérieusement parler. Il faut dire que le long métrage a suivi un parcours relativement balisé puisqu’il a été véritablement découvert au dernier Festival de Sundance (en janvier dernier), alors même que le court métrage (du même titre) dont il est issu avait remporté le prix du meilleur court métrage l’année précédente au même endroit. Cela a permis à Damien Chazelle de lever des fonds pour financer le projet qu’il avait toujours en tête : faire un long métrage. Ainsi, Miles Teller (celui qui est en train de devenir la nouvelle star du cinéma américain) a rejoint le projet qui s’est étoffé et a été sélectionné l’année suivante, avant de remporter le Grand Prix du meilleur film dramatique américain (comme, ces dernières années, Winter’s Bone, Les Bêtes du sud sauvage ou encore Fruitvale Station). Ensuite, pendant un an, le long métrage a tourné à travers le monde (à Cannes, par exemple, où l’ovation a été immense), pour récolter des prix divers et variés avant de débarquer en septembre dernier au Festival du film américain de Deauville où il a remporté le Grand Prix (comme Take Shelter ou Les Bêtes du sud sauvage, là encore) et le Prix du Jury. Autant dire que la sortie du film commençait à être scrutée avec beaucoup d’intérêt, même si celle-ci s’est faite à une période traditionnellement un peu compliquée pour aller au cinéma. Mais, en s’avançant un peu comme la « bête à concours » de cette année 2014, il faut bien avouer que Whiplash pouvait faire peur, notamment par l’attente assez démesurée qu’il suscitait. Ayant réussi à trouver un peu de temps pour aller le voir entre deux achats de cadeaux et la préparation des folies culinaires des jours suivants, je peux dire que je n’ai pas vraiment été déçu par le « nouveau phénomène du cinéma indépendant américain ».
C’est sans doute l’un des films les plus violents de l’année, tant physiquement que psychologiquement. En effet, dans cette relation entre Andrew et ce chef d’orchestre perfectionniste, il y a vraiment quelque chose qui tient de la brutalité à l’état pur. En effet, Fletcher n’est pas loin d’être ce que l’on peut considérer comme un vrai sadique. Dès la première scène, celle de la rencontre entre un jeune batteur qui s’entraîne et celui qui fait la pluie et le beau temps dans cette prestigieuse école de musique, on comprend que ce dernier aime souffler en permanence le chaud et le froid. Andrew, lui, se sent obligé d’accepter un tel mode de fonctionnement, car c’est le seul moyen pour qu’il puisse intégrer en tant que premier batteur l’orchestre dans lequel tout jazzman rêve de jouer. Pendant plus d’une heure et demie, c’est cette relation qui sera toujours au cœur du récit, puisque toutes les autres (Andrew et son père, Andrew et sa petite amie) sont très vite évacuées. On se retrouve donc avec une sorte de face à face entre deux personnages qui ont leur propre conviction et qui vont tout faire pour les mettre en application. Et dans ce duel, il y a quelque chose d’éminemment physique, presque comme un combat de boxe où, chacun à leur tour, Andrew et Fletcher ne sont pas si loin du K.O. Le fait que le film ait été tourné en moins de vingt jours n’est sans doute pas étranger à cette intensité de tous les instants. Toute la dernière séquence, totalement dingue et jouissive, est le climax de cette confrontation, où tout ce qui a été dit ou vécu jusque-là ressort, sans que rien ne soit dit (la musique et les regards suffisent) et où les deux se révèlent vraiment : Andrew ne lâchera rien et, donc, Fletcher n’a pas fait tout cela pour rien. Sur le principe, c’est assez discutable car cela semble signifier la victoire de la violence comme méthode pour se dépasser, mais je crois que ce là n’est pas le message principal.
Si, dans le scénario global, on est quand même dans un récit d’apprentissage à la forme assez classique (les espoirs, l’ascension, les moments de découragement, la renaissance…), là où Damien Chazelle arrive à être original, c’est dans la manière qu’il a de mettre en images ce lien entre Andrew, Fletcher et la batterie qui devient presque un troisième personnage principal. Il y a dans sa façon de filmer quelque chose d’organique et de physique : des gros plans sur les parties du corps, autant que sur les différentes composantes de la batterie, qui, finalement, ne forment plus qu’un. Et c’est un peu la même chose quand c’est l’orchestre qui joue avec des plans très courts montrant les doigts sur les touches,… Ainsi, jouer un instrument à ce niveau-là devient vraiment un sport et on voit d’ailleurs l’effort physique que ça demande à Andrew, quitte à se faire beaucoup de mal (c’est sans doute l’un des films les plus sanguinolents de l’année !). Et puis, ce qui fait beaucoup ici, c’est le montage de toutes ces images. Il est réellement impressionnant avec une façon de se poser sur le rythme des morceaux et de créer ainsi une ambiance complètement dingue. A ce niveau-là, c’est du très grand art et on comprend vraiment comment le montage peut avoir une importance prédominante dans la réussite d’un long métrage. Enfin, qui dit face à face intense dit nécessairement grosses performances d’acteurs et, honnêtement, on n’est pas déçu ici. JK Simmons est incroyable en professeur plus que rude. C’est un vrai personnage de méchant dont il n’y pas grand-chose de positif à retirer mais qu’on finit par se surprendre à presque apprécier. Face à lui, un Miles Teller qui continue de prouver qu’il est peut-être bien le futur grand qu’Hollywood attend depuis quelque temps maintenant. Il est ici d’une intensité folle. Les deux permettent en tout cas au réalisateur de vraiment faire ce qu’il voulait visiblement de Whiplash : un long métrage vraiment physique, dans lequel le spectateur est plongé dans un combat sans merci. Puissant.