La Critique
Présenté à Cannes en mai dernier, le nouveau film de l’Australien John Hillcoat (l’homme qui avait osé s’attaquer à une adaptation du chef d’œuvre de Cormac McCarthy, La Route) avait reçu un accueil assez mitigé de la part de la presse (mais aussi du Jury puisqu’il est reparti sans aucun prix). Pourtant, sur le papier, on tient sans aucun doute là l’un des films les plus excitants de la rentrée. Il y a d’abord un sujet fort et très peu traité au cinéma (la fabrication et le trafic d’alcool dans l’Amérique de la prohibition), un scénariste (Nick Cave) qui fait aussi la musique du film et un casting vraiment intéressant avec de nombreux acteurs encore « jeunes » dans le métier mais super talentueux (Tom Hardy, Jessica Chastain ou Mia Wasikowska) et des pointures confirmées (Gary Oldman, Guy Pearce ou encore Shia Laboeuf). Avec tous ces éléments, il était a priori difficile de passer à côté. Mais, moi aussi, j’ai finalement été un peu déçu par un film qui promettait beaucoup au départ mais qui, dans l’ensemble, est beaucoup moins enthousiasmant au visionnage.
Des hommes sans loi a un grand mérite : celui de s’appréhender très facilement. Il n’y a ni période d’attente, ni faux-semblants. C’est à un vrai film de gangsters auquel on va avoir droit et la séquence avant le générique nous informe de sa violence et celle après le générique, avec la voix-off de l’un des protagonistes nous l’annonce clairement. Après, pendant presque deux heures, il y aura une succession de séquences où ce fond de violence est toujours présent car c’est cette dernière qui régit tous les rapports : entre brigands et police, bien sûr, mais même au sein de cette famille assez étrange qu’est celle des Bondurant. En effet, le petit dernier (Shia Laboeuf) semble assez faible et peu impliqué mais il veut tout faire (notamment des bêtises, en l’occurrence) pour se faire remarquer et obtenir la reconnaissance de son grand frère (Tom Hardy). Seul le début de relation entre ce petit frère et une jeune fille du village (celle du pasteur) apporte un peu de douceur dans ce monde de brutes. Mais le souci principal de ce film est qu’il manque de souffle. Si les scènes s’enchaînent plutôt efficacement, on peine à voir véritablement une idée directrice qui transcende tout le long métrage.
En fait, ce qui est assez étrange, c’est qu’on a l’impression de voir des bouts d’une série dans la façon dont le réalisateur prend son temps, ne change jamais de rythme et passe d’un évènement à l’autre sans autre forme de procès. C’est parfois assez gênant de ne pas sentir la moindre ligne réellement forte dans le film, même si l’ensemble se laisse tout de même regarder. C’est comme si, satisfaits de leur sujet, réalisateur et scénariste avaient décidé de ne pas aller beaucoup plus loin, peut-être de peur de le dénaturer. Mais en prenant aussi peu de risques, ils lui font aussi paradoxalement beaucoup perdre de sa force. On aurait vraiment envie d’aller plus profondément à certains moments, de ne pas être portés par un rythme qui devient à la longue un peu ennuyeux. Pourtant, il y a de nombreux personnages, des histoires fortes qui en découlent, mais John Hillcoat et son scénariste ne semblent pas vraiment choisir sur laquelle vraiment insister, ce qui fait que tout est mis un peu sur le même plan. On peut alors reprocher le trop grand nombre de destins qui s’entrechoquent. C’est notamment le cas des deux personnages féminins qui, pourtant très intéressants, sont trop laissés de côté pour être jugés à leur juste valeur. De plus, il y a pendant tout le film un petit côté un peu trop démonstratif et calibré avec des scènes qui en annoncent d’autres et un manque de finesse pour amener certains éléments importants, comme si, en voulant se conformer à certains codes du genre, John Hillcoat oubliait presque de réaliser son propre film. Pourtant, le réalisateur est loin d’être un manche et certaines séquences sont vraiment de qualité, tant dans les montées de violence parfois spectaculaires que dans des scènes moins « fléchées » (notamment cette scène assez géniale dans l’église). Mais, à force de faire trop de séquences qui se ressemblent, cela se perd un peu.
En plus, le réalisateur dispose d’un casting vraiment détonnant puisque la qualité de l’interprétation est plutôt à souligner comme un point positif dans ce long-métrage avec une mention spéciale à Tom Hardy, une nouvelle fois assez formidable dans ce rôle du frère ainé, taiseux et violent, mais aussi très protecteur par rapport à sa famille. Ses regards, notamment, disent beaucoup plus que tous les mots possibles. Face à lui, il a du répondant avec un Guy Pearce magistral dans le rôle de l’agent sadique, violent et prêt à tout pour arrêter le trafic ais aussi construire sa propre gloire. Leur face-à-face est vraiment détonnant. On peut quelque peu encore regretter la sous-utilisation des deux rôles féminins car leurs interprètes sont, chacune à leur façon, excellentes. Jessica Chastain dans cette manière qu’elle a de se fondre avec naturel son personnage dans ce monde masculin. Mia Wasikowska, elle, trimballe pendant ses quelques scènes son air lunaire et son apparente désinvolture. Tous donnent une vraie crédibilité à Des hommes sans loi mais ne parviennent pas à transcender un scénario et une réalisation finalement trop académique.