La Critique
Attention, film « commémoration » en vue. En effet, le 3 décembre de cette année, cela fera trente ans jour pour jour que la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » est arrivée à Paris, devant presque 100 000 personnes, avant que les organisateurs ne soient reçus par le Président de la République en personne. Une semaine avant est donc sorti un long métrage intitulé tout simplement La Marche, mis en scène par un réalisateur belge et porté par les fonds de la société de Luc Besson (EuropaCorp). Je ne suis pas contre ce genre de longs métrages car c’est aussi d’une certaine manière l’un des rôles du cinéma de remettre au goût du jour des événements importants, afin qu’ils ne soient pas oubliés (ce qui était en plus le cas pour cette marche). Mais il faut que ce soit vraiment bien fait, fidèle et constructif. Malgré tous ses défauts, Indigènes avait permis une vraie prise de conscience de la place des français d’Afrique du Nord au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. Depuis la sortie de La Marche, il ne se passe presque pas une journée sans qu’une polémique ne naisse, d’abord sur une chanson se trouvant dans le générique de fin et qui a fait fortement réagir Charlie Hebdo, ensuite sur l’aspect assez faux de tout ce qui est montré pendant le film. En même temps, La Marche reste une œuvre de fiction, qui se dit « librement inspirée des événements de 1983 » et je ne peux pas juger de la véracité de ce que disent les uns et les autres. Mais, il n’en reste pas moins que sur des sujets encore aussi sensibles, il convient de rester le plus objectif et honnête possible. Là, Nabil Ben Yadir nous offre un film qui peine réellement à convaincre, notamment du fait de son côté bien trop caricatural.
Le souci principal avec ce genre de longs métrages, c’est qu’ils sont tellement « marqués » qu’il est compliqué de dire clairement qu’on ne les aime pas, de peur de passer pour un méchant sans aucun cœur, et même, dans ce cas précis, presque pour un ignoble raciste (il suffit de voir les « batailles » sur les pages de commentaires autour de ce film). C’est certain qu’un tel film s’inscrit dans un contexte politique, qu’il ne peut être neutre et que des débats naitront qui feront vite oublier le film en lui-même. Ça a d’ailleurs plutôt tendance à me « braquer » d’entrée et à me donner un a priori négatif sur ce que je vais aller voir. Alors, le plus important est de sortir de ce contexte politique, d’oublier ses propres idées préconçues et de ne juger que le long métrage. C’est ce que je me suis efforcé de faire, même si c’est loin d’être évident. En fait, ce qui marque le plus dans ce film, c’est son côté vraiment trop caricatural et cela à différents niveaux : le discours qui ressort de La Marche n’apparaît aucunement nuancé et il pourrait presque être assimilé à de la bien-pensance. Alors, oui, le racisme, c’est mal et ce n’est pas bien de discriminer. Une fois qu’on a dit ça, comment aller plus loin ? Le long métrage ne s’interroge jamais véritablement sur les raisons ou les conséquences mais délivre plutôt des dialogues qui ressemblent plus à un échange de slogans et de phrases toute faites qu’à de vraies conversations. Tous les personnages, chacun à leur manière, ont un aspect extrêmement marqué (le bon prêtre, le gentil gros, le beau gosse, le vieux grincheux…) et ils ont du mal à véritablement sortir de cet emploi donné dès le départ pour avoir un peu plus de profondeur et apporter des nuances. L’ensemble manque ainsi clairement de finesse dans le message qui ressort – une image très positive finalement de cet événement – mais aussi la manière dont il est porté.
La Marche, comme son nom l’indique, ressemble à un road-movie puisque les personnages principaux vont de Marseille à Paris en passant par Lyon et Strasbourg, notamment. On les suit donc dans leur périple, fait de difficultés en tout genre mais aussi de petits bonheurs. Pour faire vivre ce type de long métrage, le scénario est obligé de multiplier les rebondissements, plus ou moins importants, et là, il se passe un peu toujours quelque chose, de telle façon que ça en devient trop au bout d’un moment et certains éléments auraient largement pu être évités tant ils sont attendus. Alors, oui, dans leurs aventures, il y a quelques moments d’émotion qui rendraient presque le film sympathique, mais ils sont souvent de courte durée car, assez rapidement, on tombe du côté des bons sentiments et d’une certaine mièvrerie plutôt dommageable et qui devient vraiment agaçante au bout d’un moment. Cela vient aussi d’un certain manque de recul et de finesse par rapport au sujet. Et ce n’est pas la réalisation de Nabil Ben Yadir qui va relever l’ensemble car celle-ci est globalement assez pauvre, sans grande inventivité et ne permettant pas au film de prendre une dimension supérieure, comme si le réalisateur était un peu étriqué dans un scénario qui, lui-même ne va pas bien loin. La Marche repose en plus sur une image sépia pas des plus jolies (pour dire les choses gentiment). Les acteurs, eux, font ce qu’ils peuvent là au milieu mais tous ne s’en sortent pas aussi bien. Olivier Gourmet est par exemple assez limite, Lubna Azabal n’est pas non plus excellente. Par contre, les plus jeunes sont plus convaincants, que ce soit Hafsia Herzi, Tewfik Jallab ou M’Barek Belkouk. Et puis, il y a Jamel Debbouze qui, pour le coup, en fait vraiment des tonnes en surjouant son personnage, de sorte qu’on ne voit plus que le comique et non celui qu’il est censé interpréter (assez insignifiant par ailleurs). C’est un peu à l’image d’un film qui, à partir d’un sujet important, rate quand même largement son coup. Peut-être pas autant que je l’avais craint, mais c’est tout de même très loin d’être convaincant…