La Critique
Ah, le cinéma social anglais… Tout un poème ! On a parfois l’impression que les réalisateurs britanniques ne savent faire presque que cela. J’exagère un peu, bien sûr, mais tout de même, il y a une vraie tradition d’un cinéma qui prend racine dans les quartiers durs des villes anglaises, à la suite notamment du travail de Ken Loach. Dernièrement, Boy A ou encore Tyrannosaur nous prouvaient cette réalité en s’intéressant à des personnages pourtant très différents, mais toujours dans le même type de milieu. Broken, premier film de Rufus Norris, s’inscrit complètement dans cette veine en plaçant son « intrigue » dans un quartier typique d’une agglomération anglaise. D’ailleurs, son scénariste est le même que celui de Boy A. D’ailleurs, on ne saura jamais véritablement où on est, comme si cet endroit était une forme d’incarnation même de la banlieue de classe moyenne britannique (on n’est pas non plus ici dans les bas-fonds parfois montré). Rufus Norris s’intéresse à une jeune fille qui, dans cet univers assez particulier, va perdre tous ses repères et devoir s’habituer à une nouvelle vie. Et alors, qu’est-ce que ça donne ?
Ce que l’on peut dire premièrement, c’est que Broken n’est pas le genre de films facile à résumer. En effet, beaucoup d’éléments s’entremêlent et sont liés les uns aux autres. En effet, dans ce pâté de maison, trois familles cohabitent et les relations sont pour le moins bizarres entre celle dont le fils est un peu dérangé, celle où un père élève trois jeunes filles insupportable seul et est prêt à tout pour les défendre et enfin celle où vit Skunk avec son père, son frère et une sorte de gardienne. Celle-ci est aussi en couple avec un jeune professeur, ce qui nous introduit aussi dans le milieu de l’école. Et il y aune mini-histoire d’amour parallèle pour la jeune fille… Bref, vous l’aurez compris, ça part dans pas mal de directions et le petit problème, c’est qu’en 90 minutes, c’est souvent compliqué de tout suivre véritablement de la même façon et, surtout, de vraiment s’attacher aux différents personnages. De fait, c’est parfois un peu frustrant de voir des pistes lancées mais aussitôt refermées, surtout que ce manque de temps donne un peu trop l’occasion de tomber dasn certains clichés. Mais, tout de même, le film arrive à faire vivre pas mal d’histoires dans le temps « imparti », avec presque toujours au centre de celles-ci ce personnage de Skunk, jeune fille à travers les yeux de laquelle on voit cette petite société évoluer. Autour d’elle gravite des personnages qu’elle ne comprend pas toujours et qui ont avec elle une relation pas toujours facile.
Broken me laisse au final vraiment une drôle d’impression car, pendant plus d’une heure, il y a eu chez moi un vrai agacement devant les façons de faire du réalisateur. Contrairement à certains de ses congénères britanniques plus fidèles à une réalisation assez classique et à une temporalité respectée, Rufus Norris n’hésite pas à faire des ruptures dans celle-ci (c’est très fouillis de façon volontaire) et à utiliser beaucoup d’effets dans sa réalisation. C’est parfois assez énervant car on sent vraiment qu’il veut un peu trop en faire et ça n’arrive pas « naturellement » au cœur du film. Mais, en même temps, cette façon de faire culmine dans un dernier quart d’heure que j’ai trouvé très réussi. On peut là aussi dire que Rufus Norris en fait trop mais, pour le coup, avec toutes les histoires qui s’entremêlent bien plus, cela prend plus de sens et représente un « point culminant » pour la jeune fille et ses proches. L’émotion est en tout cas vraiment au rendez-vous en fin de long-métrage. Et c’est assez fort car, en tant que spectateur, on sent bien ce vers quoi le réalisateur veut nous emmener (ce qui m’agace toujours) mais c’est très difficile d’y résister, ce qui prouve tout de même le talent de Rufus Norris. En se cadrant un peu plus et en ne cherchant pas à trop en faire, tant au niveau de sa réalisation que de ses scénarii, cet Anglais peut vraiment nous offrir de belles choses. Et c’est déjà tout de même en partie le cas avec ce Broken.