La Critique
Carancho, le précédent film de Pablo Trapero, m’avait mis une bonne claque dans la tête il y a tout juste deux ans. J’avais trouvé vraiment intéressante cette manière de marier avec succès une histoire d’amour et un thriller et la maitrise du réalisateur m’avait marqué. Pablo Trapero était capable de nous offrir quelques séquences vraiment incroyables, au cœur d’un film très bien rythmé bien qu’un peu complexe parfois dans sa construction. Le réalisateur argentin revient cette année avec Elefante Blanco, du nom d’un immense bâtiment (un hôpital en construction) autour duquel s’est installé une sorte de bidonville. C’est dans celui-ci que des prêtres et une assistante sociale essaient de combattre la violence du quartier, notamment en faisant construire par les habitants des logements. La présence de Ricardo Darin, acteur découvert par Dans ses yeux et qui brille aussi dans Carancho, ainsi que celle, plus surprenante, de Jérémie Rénier renforçaient mon envie d’aller voir ce film. Et, en fait, il m’a plus déçu qu’autre chose, peut-être parce que, par rapport au long métrage précédent de Trapero, Elefante Blanco est beaucoup moins brillant et plus « prévisible ».
La première chose qui m’a marqué dans ce film et son relatif manque d’ampleur. En effet, alors que le sujet pouvait plutôt pousser à quelque chose d’assez « grandiloquent », c’est un peu l’inverse qui se produit puisque Elefante Blanco est un film qui ne parvient pas à prendre une réelle dimension. Le long métrage de Pablo Trapero n’est pas raté non plus car il soulève beaucoup de questions, lance des pistes et en suit quelques unes. Mais, dans l’ensemble, il est assez décevant car, justement, il ne va pas vraiment au fond des choses et reste, dans une certaine mesure, assez superficiel, tant sur la problématique de ce quartier et du rôle que des prêtres peuvent avoir sur une violence endémique, que sur celle plus intime de la foi et du sacerdoce, notamment évoquée avec ce père Nicolas qui se pose visiblement de plus en plus de questions après sa rencontre avec Luciana. Leur relation évolue peu à peu et cela est montré de manière assez subtile. Le spectateur comprend bien qu’il se passe quelque chose et une forme de suspense naît pour savoir si l’attirance que le prêtre ressent pour ce qui s’apparente à une collègue va lui faire franchir le pas. Mais, là encore, on est comme frustré car les choses sont précipitées et pas véritablement bien amenées par un scénario qui, parfois, s’emballe un peu sans que l’on sache trop pourquoi alors qu’à d’autres moments, justement, il reste bloqué sur des éléments de moindre importance. En fait, on ne comprend pas toujours où le film veut vraiment en venir. C’est tout de même la question de la perte des repères qui est au centre du film, mais elle est traitée de tellement de manières que cela devient inaudible. En multipliant les pistes, il finit par perdre quelque peu le spectateur et donc à perdre aussi de son intérêt.
Là où, par contre, Elefante Blanco est assez intéressant, c’est dans sa manière presque documentaire de montrer ce bidonville et la vie qui s’y déroule. Il n’hésite pas à insérer dans son film comme des petites « vignettes » qui sont autant de séquences assez courtes nous permettant, en tant que spectateur, d’appréhender ce quartier qui semble assez particulier. Il y a quand même aussi quelque chose qui se dégage de ce film et qui est assez difficilement explicable. On pourrait le rapprocher d’une forme de « lame de fond émotionnelle » dans le sens où presque tout est contenu et sort parfois par petites touches. Pablo Trapero prouve aussi avec ce film qu’il possède toujours un vrai sens pour mettre en scène des séquences assez formidables. Il est notamment maitre pour faire de très longs plans qui suivent des personnages en mouvement et qui sont autant de véritables plongées dans un univers. Je garde particulièrement ce très long plan séquence qui accompagne le prêtre joué par Jérémie Rénier chez une narcotrafiquante : depuis la porte d’entrée, jusqu’à la sortie, en passant par de nombreuses pièces et contrôles en tout genre. C’est assez incroyable de maitrise et de force narrative car en un plan, on voit et on comprend tout. Il sait aussi parfaitement diriger les acteurs, que ce soit une Martina Gusman efficace, un Jérémie Rénier qui se fond bien dans la masse et un Ricardo Darin toujours aussi génial. Vraiment, je suis fan de cet acteur qui, avec son regard particulièrement perçant, nous offre toujours de vraies belles performances. J’aimerais bien voir cet acteur sortir de ses frontières et tourner un film à l’étranger, tout comme ce réalisateur qui pourrait se servir de son vrai sens de la réalisation pour d’autres types de projets.