La Critique
C’est parfois assez cocasse la manière dont les films se répondent, sans que cela soit voulu. En effet, le dernier film où Forrest Whitaker avait un rôle principal que j’ai pu voir était Zulu et il se terminait par une scène (d’ailleurs assez dérangeante) du personnage interprété par l’acteur achevant à coups de pierre celui que l’on pouvait considérer comme le méchant et cela dans un décor de désert. Et, là, quelle surprise de voir dans la séquence d’ouverture de La voie de l’ennemi le même comédien effectuer exactement le même geste, dans un décor assez similaire, comme si cela se trouvait dans l’exacte continuité du long métrage de Jérôme Salle. Et, en plus, les similitudes ne s’arrêtent pas là, puisque ce sont deux films produits par Pathé, réalisés par des Français, et qui sont tournés dans un pays anglo-saxons (Afrique du Sud pour le premier, Etats-Unis pour celui-ci) avec des acteurs anglophones et, donc Forest Whitaker. Mais les comparaisons doivent s’arrêter là car si Jérôme Salle utilisait plutôt les ressorts du thriller, avec montées de tension, coups de feu et enquête policière, Rachid Bouchareb, lui, est plus dans le registre du drame pur. C’est la deuxième réalisation américaine pour le réalisateur d’origine algérienne qui, avec Indigènes et Hors la loi, avait sondé à sa manière l’histoire de l’immigration maghrébine en France depuis la Seconde Guerre Mondiale. En effet, il a déjà mis en scène Just like a woman, qui est passé en France à la télévision avant d’être diffusé dans les salles aux Etats-Unis. La voie de l’ennemi est le deuxième volet de ce qui se veut être une trilogie américaine… Et pour ce film, il adapte un long métrage datant d’il y a quarante ans, Deux hommes dans la ville et interprété par Jean Gabin et Alain Delon. En le réactualisant et en l’inscrivant dans un contexte américain, Rachid Bouchareb réussit-il son coup ? Selon moi, le pari n’est pas vraiment gagné et le réalisateur nous offre finalement un film qui, bien que dans l’ensemble soigné, ne convainc jamais.
Soigné parce qu’il n’y a pas de grosses fautes de goût dans la mise en scène et que certaines séquences sont même filmées avec un certain talent. Il réussit notamment bien à saisir ces grandes étendues du Nouveau Mexique qui sont décidément à la mode en ce moment au cinéma (Cartel, par exemple, se déroulait dans des paysages similaires). Mais, une fois que l’on a dit ça, il faut se demander à quoi cela est-ce que ça sert. Et c’est malheureusement bien là que le bât blesse largement. Car La voie de l’ennemi a une caractéristique assez étonnante : celle d’être l’un des films qui lance le plus de sujets intéressants avant de ne pas les travailler davantage, pour, finalement, rester dans une trame extrêmement classique et un scénario (trop) attendu. C’est le cas à la fois pour des personnages mais aussi pour des thématiques entières. Prenons d’abord l’exemple de la religion (ici, l’islam puisque William s’est converti en prison). Le scénario en fait dès le début un élément majeur et on pense qu’il s’agira d’un enjeu d’importance mais, au fur et à mesure que le film avance, on perd complètement cet aspect, si ce n’est dans l’une des scènes finales (et encore). Mais il en est de même par exemple sur les questions d’immigration (le film se passe à proximité immédiate de la frontière avec le Mexique). Sur les personnages secondaires, on a un peu la même problématique puisqu’il y a de nombreuses amorces pas inintéressantes, notamment sur le personnage de ce shérif (très rude avec William mais particulièrement « compatissant » envers les immigrés). Finalement, ils ne sont jamais traités et n’ont donc plus vraiment d’intérêt. Le scénario préfère s’enfoncer avec un certain entêtement dans une facilité puisque tous les passages attendus surviennent (de l’histoire d’amour complètement bidon aux retrouvailles avec la mère adoptive) sans que les enjeux forts ne soient véritablement évoqués. Et vu que, en plus, Rachid Bouchareb a une petite tendance à ne pas faire les choses à moitié quand il faudrait un peu de retenue, le résultat est souvent discutable. Heureusement, la figure de Forest Whitaker, une nouvelle fois excellent, permet à elle seule de sauver parfois le long métrage d’une certaine niaiserie qui le guettait… Mais ça ne peut pas non plus suffire…