La Critique
Depuis le temps que j’entendais parler de Fred Cavayé, il était temps que j’aille me faire une idée sur place de ce que donnait « le seul français capable de faire des vrais polars », comme il est désigné à peu près partout. En seulement deux longs métrages, il s’est en effet imposé comme une référence en France, dans un segment qui n’a jamais été historiquement celui qui a fait le plus de succès – ce n’est pas rien si, quand on parle de polars de référence, on cite Verneuil ou Melville, qui ne sont pas à proprement parler les metteurs en scène les plus modernes… – et qui, ces dernier temps, n’avait offert aucun film de qualité. Dans ce créneau, c’est donc Cavayé qui semble avoir pris la pôle position. Je n’ai vu aucun de ses deux premiers films (Pour elle et A bout portant) mais j’ai pour le coup été voir le remake que Paul Haggis a fait du premier avec l’aide de Cavayé au scénario (Les trois prochains jours). J’avais trouvé ça plutôt pas mal sans que ça casse non plus des briques. Pour son troisième long-métrage, dont il est toujours scénariste, il met ensemble les acteurs principaux de ses deux premières œuvres (à savoir Vincent Lindon et Gilles Lellouche). Pour filmer, il s’installe à Toulon et monte une histoire qui lie le destin de deux flics avec des affaires de famille, sur une idée d’Olivier Marchal, d’ailleurs. Sur le papier, honnêtement, ça ne semblait pas forcément très original et j’espérais vraiment que la différence se ferait au niveau de la mise en scène. Quand je suis ressorti de la salle, une sorte d’inquiétude m’a étreint : alors, c’est ça, la relève du polar français ? Ce n’est pas que ce soit mauvais mais c’est quand même très loin d’être folichon, notamment du fait d’un scénario qui ne tient pas vraiment sur la durée…
Pourtant, ça ne commence pas si mal que ça, avec une mise en place plutôt efficace qui nous fait comprendre le caractère de chacun des personnages principaux : Simon est plutôt renfermé et taciturne alors que Franck peut vite être incontrôlable. Est évoqué aussi le lien très fort entre eux depuis cet accident qu’a eu Simon et que Franck n’a pas pu empêcher. Tout cela en parallèle de meurtres commis dans la ville par une bande de méchants (bah oui, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, ils ont des têtes de méchants). Bref, en un quart d’heure montre en main, on a saisi les enjeux et on voit à peu près vers quoi le film va aller. Et il débute véritablement avec cette scène où le jeune garçon est témoin d’un meurtre qu’il n’aurait pas du voir (en même temps, on ne devrait jamais voir un meurtre, je vous l’accorde…). C’est là que débute une vaste course poursuite qui va durer plus d’une heure et qui va connaître différents paliers avec des protagonistes différents (même s’il y a toujours ce principe immuable de gradation vers un combat final entre les deux personnages les plus « importants »). En fait, on peut découper cette deuxième partie du film en trois grandes séquences d’action : la poursuite du fils dans le quartier désaffecté, la boite de nuit et le TGV. Le souci, c’est que, plus on avance dans le film, plus ces scènes d’action perdent en intensité et en intérêt. La première est vraiment très réussie avec cette course poursuite qui se finit dans des halles désaffectées pour un duel au corps au corps assez viril. Cavayé y montre son sens de la mise en scène et du rythme. La deuxième est plus traditionnelle et commence de façon attendue (dans ce genre de films, la boîte de nuit, c’est presque un passage obligé) avant de finir d’une manière assez étrange (et drôle il faut bien le dire). Toute la troisième qui se déroule dans le TGV est par contre bien plus ridicule qu’autre chose (beaucoup de gens riaient dans la salle) avec une accumulation d’à peu près tous les clichés possibles.
D’ailleurs, l’ensemble du scénario est aussi sur une pente descendante à mesure que le film avance. Les incohérences et les invraisemblances se font de plus en plus criantes, et, surtout, on s’attend à tout ce qui va se passer. Tout est tellement fléché qu’il n’y a plus aucune surprise, que ce soit dans le côté policier (en même temps, ce n’est pas compliqué) mais aussi dans l’autre versant que veut développer ce film et que l’on peut appeler une « tragédie d’amitié ». En effet, au fur et à mesure que le film avance, on voit de plus en plus venir que les liens entre Franck et Simon ne sont peut-être pas ceux que l’on pensait au début. Et cet aspect n’est finalement peut-être pas assez creusé ou, en tout cas, mal exploité. C’est fait la plupart du temps à travers des flashbacks, visuellement terribles (il faudrait faire une étude pour se demander pourquoi les flashbacks sont très souvent horribles à regarder…) et qui n’apportent finalement pas tant que ça. La fin ne fait que confirmer ce que l’on s’imaginait depuis un certain temps et est dans l’ensemble beaucoup trop attendue, voire presque un peu ridicule. Ce qui est aussi risible, c’est le rôle du commissaire, surjoué et qui en devient un personnage comique alors que ce n’est pas forcément le but. D’ailleurs, dans l’ensemble, le casting n’est pas vraiment le point fort du film avec deux acteurs principaux qui font le job et le reste qui ne fait pas d’étincelles non plus. On se dit au final que c’est vraiment dommage qu’un réalisateur qui sait vraiment bien filmer les scènes d’action, se soit fourré (lui-même) dans un tel scénario qui lui permet seulement de les enchaîner sans qu’elles trouvent sens commun. Alors, c’est sûr que l’ensemble se tient, qu’on ne s’ennuie pas et que certaines séquences sont de qualité, mais si c’est vraiment ça, le meilleur polar français, alors il y a un peu de quoi s’inquiéter…