La Critique
Cette histoire vraie absolument « démentielle » devait bien un jour ou l’autre être portée à l’écran. En effet, mort en 2006, le vrai Richard Kuklinski s’est vu attribuer (et il s’est attribué lui-même, je crois bien) une centaine de meurtres, commis pendant une trentaine d’années pour le compte de différentes familles de la pègre new-yorkaise. En plus d’être l’un des tueurs les plus violents de l’histoire américaine, il a aussi été connu pour avoir répondu à des journalistes télé alors qu’il était en prison (condamné à deux peines de perpétuité…) et n’avoir exprimé absolument aucun regret sur sa vie passée. C’est d’ailleurs cette interview qui a poussée le réalisateur Ariel Vromen (dont c’est le premier projet d’importance aux Etats-Unis) à s’emparer de cette histoire et de la mettre en image. C’est un sujet pour le moins ambitieux car il y a beaucoup de choses à dire et à montrer. Nous verrons d’ailleurs que c’est l’un des soucis majeurs de ce long-métrage. Pour le rôle clé de Kuklinski, le réalisateur a la chance de pouvoir compter sur l’un des acteurs les plus talentueux de sa génération (mais aussi l’un des moins connu) en la personne de Michael Shannon qui est notamment exceptionnel dans Les noces rebelles ou bien encore Take Shelter. Avec une telle garantie, il y a peu de chance de faire une grosse faute de goût et de rater complètement son film. En effet, ce n’est pas le cas et Ariel Vromen livre un long métrage plutôt classieux dans la forme mais pas assez abouti dans le fond. Dans l’ensemble, ça reste quand même correct.
En fait, là où The Iceman a un problème, c’est dans son sujet même. En effet, celui-ci est sans doute beaucoup trop vaste, complexe et inscrit dans une trop longue durée pour n’en faire qu’un film de moins de deux heures. Il y avait là tout à fait le matériau pour faire une série ou, au moine, une mini-série (de cinq ou six heures). L’histoire de cet homme est montrée sur plus de vingt ans, et, inévitablement, il y a de très longues ellipses (une de dix ans environ, notamment). Avec le peu de temps qu’il a, le réalisateur n’arrive pas vraiment à se fixer sur certains éléments précis mais décide de traiter un peu tout, sans vraiment hiérarchiser quoi que ce soit, sous forme de « saupoudrage ». C’est notamment le cas pour ce qui est de l’un des aspects les plus intéressants de ce homme : ce Kuklinski, en plus d’être un tueur froid et méthodique, était aussi un père de famille attentionné. The Iceman essaie de saisir au mieux cette forme de paradoxe apparent mais il pêche un peu car, là encore, il ne prend pas le temps de véritablement développer des aspects plus particuliers mais choisit une vision plus globale. Ainsi, parfois, on a l’impression d’assister à une succession de scènes où des personnages apparaissent, reviennent et disparaissent, sans que cela ne soit véritablement hiérarchisé et expliqué. Le scénario va même chercher à expliquer ce qu’est Kuklinski par son origine familiale (son père était violent, son frère est en prison) mais c’est fait très rapidement et ça tombe en plein milieu du film, un peu comme un cheveu sur la soupe. La construction d’ensemble est donc un peu bancale du fait même de l’importance de ce qu’il y a à traiter.
Et cela a aussi quelques répercussions sur la mise en scène et le jeu des acteurs. En effet, étant parfois en manque d’explications par rapport à ce qu’il veut vraiment montrer, le réalisateur se sent obligé d’en rajouter (dans la mise en scène ou dans la dramaturgie) pour essayer de faire passer plus efficacement le message. On trouve ainsi parfois trop d’effets qui ne sont pas forcément justifiés. Mais sinon, la réalisation est assez classique pour ce genre de films. Il faut noter le superbe travail de reconstitution qui est mené tant au niveau des décors, de tous les accessoires que des costumes et des looks des principaux protagonistes. C’est une vraie plongée dans l’Amérique des années 60 et 70 et ça a toujours un côté assez jouissif quand c’est bien fait et que ce n’est pas montré de manière trop ostentatoire (parce que les films qui ne jouent que là-dessus, c’est plutôt agaçant). Michael Shannon, dans un rôle pourtant taillé pour lui, n’est pas vraiment exceptionnel dans ce film tant on a l’impression que le fait que l’histoire soit peu suivie ne l’aide pas à vraiment camper ce personnage au combien fascinant. C’est dommage car on sait tous que ce comédien a vraiment quelque chose et là, ce n’est pas vraiment exploité. J’avais pourtant de vrais espoirs qui ont été en partie déçus. Pas tant pour le film que pour la performance de Shannon que j’attendais plus marquant que cela. Il ne ressort pas vraiment d’un film qui lui-même ne subsistera pas dans les annales mais qui reste un long métrage pas inintéressant et parfois assez prenant.