La Critique
Pour son dernier film (bien qu’il ne le sache pas encore au moment de la réalisation), Claude Miller a décidé d’adapter un roman de François Mauriac, lui-même tiré d’évènements s’étant réellement passés au début du vingtième siècle. Il réussit l’ « exploit » d’avoir comme actrice principale Audrey Tautou, qui ne tourne définitivement plus qu’un film par an. Thérèse Desqueyroux était donc déjà un évènement en soi, renforcé par le fait que le film avait été choisi pour faire la clôture du dernier Festival de Cannes. De Claude Miller, je n’avais vu que Un secret, déjà une adaptation littéraire, que j’avais trouvé pas mal en son temps (c'est-à-dire il ya tout de même assez longtemps…) mais ses films suivants ne m’avaient jamais véritablement attirés. Et pour dire les choses, ce Thérèse Desqueyroux ne me faisait pas non plus complètement rêver… Mais bon, ayant trouvé un petit peu de temps libre, je suis allé me faire une idée parce que c’est bien beau de dire des choses sur les films, tant qu’on ne les a pas vus… Et le bilan que j’en fais est que c’est un long-métrage loin d’être complètement raté car formellement assez réussi mais, dans le fond, plutôt décevant.
En tout cas, ce film pose une nouvelle fois la question de l’adaptation littéraire au cinéma. C’est une problématique bien complexe et qui n’a jamais vraiment été résolue. De toute façon, elle dépend intimement de l’ouvrage en lui-même mais aussi de ce que veut en faire le réalisateur. Et ce n’est pas Thérèse Desqueyroux qui va nous apporter beaucoup de réponses… En effet, Claude Miller décide visiblement de faire une adaptation assez fidèle et linéaire du roman de Mauriac. Il n’a pas vraiment le choix non plus étant donné que l’histoire de cette femme est bien plus celle d’un processus psychologique qui l’a conduit à commettre un acte grave qu’autre chose. Mais, par contre, il aurait pu être un peu moins illustratif. En effet, on a vraiment le sentiment de voir se dérouler devant nos yeux une vraie adaptation avec la succession des passages clés, bien plus qu’un véritable récit qui se tient. Dans le fond de cette histoire, on retrouve un peu la même idée que pour A perdre la raison avec la focalisation sur la façon dont la personne change au fil du temps. Mais là où le film de Joachim Lafosse réussissait à montrer avec de la force mais aussi beaucoup de justesse la manière dont cette mère était peu à peu prise dans un piège qui se refermait invariablement sur elle, celui de Claude Miller rate largement ce qui doit constituer la base du film.
Cela est du à plusieurs éléments et le premier se trouve dans la façon même dont est construit le film : par petites « vignettes », soit des épisodes durant entre 10 et 15 minutes. Ils sont très clairement séparés dans le montage et, souvent, cela représente aussi des sauts dans le temps (plus ou moins importants). Forcément, en moins de deux heures, on ne peut pas tout raconter, mais en segmentant de cette manière, le scénario fait perdre beaucoup de force à l’ensemble car il coupe l’idée même d’évolution progressive et de cheminement intérieur du personnage principal en préférant montrer des épisodes précis, marqueurs plus nets de ces modifications. Cela donne au scénario dans son ensemble un aspect nécessairement beaucoup moins subtil. De plus, on a l’impression que le choix des séquences n’est pas forcément le bon puisque certains éléments sont beaucoup mis en valeur alors qu’ils n’ont pas une grande importance alors que d’autres sont évoqués de manière beaucoup plus rapide. Lors de certains passages, on pourrait presque pense que le film est un peu « fuyant », comme s’il cherchait à éviter les vraies questions que pose l’histoire de cette femme. Tout cela donne le sentiment que le destin de cette Thérèse n’est pas véritablement incarné et qu’il est presque un peu mise de côté par moments ou, dans tous les cas, trop dilué pour être véritablement saisi.
Malgré tout, une certaine élégance se dégage tout de même de Thérèse Desqueyroux. Cela est du en grande partie au soin apporté aux costumes et aux décors, à l’ambiance très bien retranscrite de la bourgeoisie provinciale du début du siècle mais aussi à une réalisation qui correspond assez bien à ce qui est raconté. Claude Miller offre une mise en scène sans fioriture, parfois même presque trop carrée, mais qui répond au mieux aux enjeux du long-métrage. Dans le rôle titre, Audrey Tautou est égale à elle-même, c'est-à-dire parfois juste et à d’autres moments plus agaçante qu’autre chose. J’ai toujours autant de mal à réellement apprécier ses performances que je trouve toujours en demi-teinte. Par contre, avec Gilles Lellouche, c’est beaucoup plus net. Je n’aime vraiment pas sa façon de jouer (en plus du fait que je ne comprends pas la moitié de ce qu’il dit) et je le trouve trop peu crédible dans ce rôle. Le dernier rôle important est tenu par Anaïs Demoustier et il illustre assez bien le problème de ce film. L’actrice interprète un personnage vraiment central (meilleure amie de Thérèse et sœur de Bernard) mais trop peu exploité véritablement, sans parler du fait que le fait qu’Anaïs Demoustier et Audrey Tautou soient censées n’avoir qu’un an ou deux d’écart manque clairement de crédibilité (elles en ont plus de dix pour de vrai). La jeune actrice s’en sort très bien mais aurait vraiment mérité une plus grande place dans tout le scénario, car c’est sans doute autour d’elle que se cristallise une bonne partie des problématiques soulevées ou au moins effleurées par le film.