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AUTOPSIE D'UNE MISE À MORT : POUR UN CONSERVATISME TENNISTIQUE

 L'Article


Finale OA 2012

Voilà la première contribution extérieure sur mon blog. Elle me vient d’un bon camarade d’internat, amateur de tennis, et qui a décidé de réagir lui-aussi devant le match d’hier. Son texte mérite vraiment une lecture attentive, pour les fans de tennis mais aussi pour les autres, ceux qui aiment tout simplement les très jolis textes.

30 janvier 2012, Melbourne, aux alentours de deux heures du matin, Novak Djokovic vient de remporter son troisième Open d'Australie, en disposant en finale de Rafael Nadal au terme d'un combat dantesque de près de six heures et cinq sets. Alors qu'il reçoit son trophée au centre de la Rod Laver Arena, le Serbe lance à son adversaire : \Nous avons écrit l'histoire.\

Sans doute a t-il raison, mais pas dans le sens où il l'entend. Il est vrai que cette conclusion du premier Majeur de l'année fait date en tant qu'elle concentre toutes les structures essentielles du tennis moderne. Ce dont nous avons perçu les prémisses depuis 2007 et la performance extraordinaire de Rafael Nadal à Wimbledon où il atteignit la finale et ne céda qu'au cinquième set face à Roger Federer, toutes ces mutations qui se font plus prégnantes depuis lors, tous ces éléments ont triomphé dans la nuit de dimanche à lundi dans cette rencontre qui est comme une cristallisation de ce que semble devoir devenir le tennis dans les années 2010. Que penser de cette nécessité, de cette irrévocabilité de l'avènement du paradigme Nadal-Djoko sur l'ensemble des courts du circuit ATP ?

Dressons brièvement la cartographie de cette nouvelle cosmogonie tennistique. Les caractéristiques principales émergent de manière suffisamment saillante pour qu'on puisse les lister. Avant tout, le style de jeu des meilleurs s'uniformise. Avec quelques nuances individuelles, l'archétype du joueur façon 2010's frappe fort des deux côtés, lifte des deux côtés, il joue long, il évolue avec un revers à deux mains, a un jeu de jambes et une capacité de défense stratosphériques, considère toute variation d'effet (vers le chip donc) comme aberrante et voit l'espace entre la ligne de carré de service et le filet comme un no man's land dans lequel il serait plus que périlleux de s'aventurer.

Côté court, là encore l'heure n'est plus à la diversité et au pluralisme ; Mats Wilander (pas réputé pour être le plus grand serveur-volleyeur-coup droit à plat de l'histoire...) déplorait récemment que la surface des courts australiens présente une vitesse et un rebond largement comparables à la terre battue de Roland Garros.

De même, une étude montrait que pour un même service réalisé en 2003 et 2008 (on peut d'ailleurs considéré que la situation s'est encore aggravée depuis), la modification de la surface de Wimbledon (un gazon coupé plus court pour le dire simplement) permettait au relanceur de disposer d'environ 1,50 mètre supplémentaire pour armer son coup. Une différence abyssale qui métamorphose largement un potentiel service gagnant ou service-volée facile en une balle largement exploitable.

D'autant plus que les progrès technologiques réalisés par les fabricants de raquette accentuent cette prévalence du défenseur/relanceur sur l'attaquant/serveur. Rappelons qu'en 1996, Richard Krajicek remportait Wimbledon et était unanimement considéré comme un serveur monstrueux, presque imbreakable, avec une première balle de service moyenne à 195 km/h... Voilà pour les éléments les plus notables, nous reviendrons plus après sur des aspects plus anecdotiques quoique d'importance.

La première critique à opposer au tennis tel qu'il se dessine aujourd'hui tient avant tout de cette uniformisation généralisée. Les quatre tournois du Grand Chelem finissent par se ressembler, tant les surfaces convergent, et font émerger, triompher le joueur-type que nous venons d'évoquer. Le génie technique perd sensiblement de sa valeur et pour cause, à quoi bon savoir réaliser un coup droit à plat au cordeau, qui déborde l'adversaire de trois mètres, et savoir donner le coup de poignet providentiel nécessaire à l'exécution de la volée parfaite quand, de toutes les manières, la surface permettra de ralentir suffisamment la balle pour que le défenseur ait tout le temps de se trouver dessus, quand elle propose un rebond suffisamment haut pour lui permettre de se replacer et donc d'empêcher l'attaquant de tirer profit de son audace initiale et quand enfin la surface lente et la raquette plus maniable autorisent le passing dans presque toute circonstance ?

De fait, la technique n'est plus à l'honneur et ce sont les qualités physiques qui sont mises en avant. Comment expliquer sinon que Rafael Nadal triomphe deux fois à Wimbledon, dont une fois face à Roger Federer ? Rafael Nadal qui, rappelons-le, est un joueur fort sympathique mais qui est incapable de servir régulièrement à plus de 175 km/h, qui n'a d'autre option en coup droit qu'un lift bondissant mais relativement court, dont le revers est bon sans être foudroyant et dont la technique au filet ferait pâlir tout professeur de tennis qui se respecte. Ce paradoxe tient à l'impossibilité de pratiquer un tennis qui diffère du schéma de jeu \échanges de fond de court interminables jusqu'à ce que l'adversaire craque\ dans lequel le coup gagnant spontané, fulgurant est pratiquement exclu. Ainsi, chaque demi-finale ou finale de Grand Chelem revient invariablement à celui qui se montre le plus solide et le plus endurant du fond du court, mais pas le plus talentueux et celui qui techniquement, propose le jeu le plus alléchant. Auquel cas nous n'aurions pas eu la chance d'avoir un duel final entre le numéro 1 et le numéro 2 mais un match entre le numéro 3 et le numéro 4...

Il ne s'agit pas d'être péremptoire et de s'enfermer dans le parti pris d'un tennis qui ne serait que celui d'un contingent réduit de joueurs qu'on appelle, faute de mieux, les \attaquants\. Au contraire. D'ailleurs, ceux qui citent en exemple le Wimbledon de la décennie 1990 n'ont pas totalement tort lorsqu'ils pointent l'aspect indigeste. Un Sampras-Federer (2001) ou un Ivanisevic-Sampras étaient des matchs assez pénibles à suivre, où le temps de jeu effectif et la moyenne du nombre de frappes jouées pendant un point étaient dérisoires pour finalement beaucoup de services gagnants mais peu de points spectaculaires.

Mais la question n'est pas là, chaque joueur de tennis a ses atouts et ses faiblesses qui lui permettent de briller à telle époque de l'année, sur tel tournoi et pas sur d'autres et c'est ce qui fait le charme, la spécificité et l'attrait majeur de ce circuit tennistique hétéroclite. Un sport où le probable deuxième ou troisième meilleur joueur de l'histoire (Pete Sampras) n'a atteint qu'une fois (et encore, presque par hasard, une année où le tableau était décimé) les demi-finales de Roland-Garros quand dans le même temps, il s'imposait sept fois à Wimbledon. Moi-même fervent admirateur de \Gentleman Tim\, je fus assez heureux quand en 2004 il fut sorti par Guillermo Coria en demi-finale de Roland. Cela prouve qu'il y a un pluralisme salutaire dans ce monde tennistique qui permet à des joueurs inexistants sur gazon ou surface rapide (Alex Corretja, Gustavo Kuerten...) de briller sur terre battue et inversement à des joueurs comme Goran Ivanisevic, Pete Sampras voire Boris Becker d'imposer leur loi sur les surfaces rapides sans jamais parvenir à dompter des joueurs presque moyens sur terre battue.

Cette division du tennis en surfaces bien différenciées, avec des jeux correspondant à chacune de ses surfaces avait en outre l'avantage d'établir une hiérarchie dans l'histoire entre les bons joueurs et les très grands joueurs, ceux capables de s'adapter à toute condition et de s'imposer partout ou presque. Ivan Lendl, Bjorn Börg, John Mc Enroe (seulement finaliste à Roland mais tout de même), André Agassi et évidemment Roger Federer. Le cas de ce dernier est d'ailleurs emblématique. En 2003, il remporte Wimbledon en pratiquant un vrai tennis d'attaquant, multiples enchaînements à la volée dans l'échange, au service, derrière le retour, et ce un mois à peine après avoir été sorti par Luis Horna, obscur joueur péruvien, au premier tour de Roland Garros. (un an avant, cela avait été contre Hicham Arazi, toujours au premier tour). Si Roger Federer a pu devenir le joueur complet qu'il est, et non plus seulement le serveur-volleyeur génial qui avait eu l'audace d'éjecter Pete Sampras de \son\ Center Court en 2001, ce n'est pas parce que la terre battue et le ciment de Flushing ont été accélérés au point de les faire converger vers le modèle londonien, mais bien parce que l'on est en présence du joueur le plus parfait techniquement que la planète tennis ait jamais enfanté. Cette perfection et cette aisance techniques lui ont permis d'adapter son jeu, de modifier ses coups au gré des adversaires, des matchs, des tournois, des surfaces afin de devenir la machine à gagner que l'on sait. Il en va plus ou moins de même pour André Agassi ou même Pete Sampras qui jouait différemment à Flushing, à Melbourne et au All England.

Aujourd'hui, ce temps semble révolu. Si David Ferrer a atteint la demi-finale de l'Open d'Australie, si Rafael Nadal a pu s'imposer deux fois et atteindre à trois autres reprises la finale de Wimbledon, ce n'est pas en raison d'une quelconque adaptation, d'une polyvalence exceptionnelle mais d'un gommage progressif et presque achevé de chaque particularité, de chaque différence qu'il existait auparavant entre tous ces tournois. (Novak Djokovic est à ranger un peu à part ; comme Agassi, il a un jeu assez médian, ni trop offensif, ni trop défensif, avec une prise de balle tôt qui l'autorise à briller sur chacune des surfaces)

Et puis, j'y reviens, il y a cette dimension physique qui prend le dessus. Lorsque Roger Federer joue un tennis de haut niveau sur une surface rapide, en deux sets gagnants, face à un Rafael Nadal qui n'est pas à 120 % physiquement, cela donne leur match de Round Robin au Masters de Londres 2011 : 6/3 6/0 en à peine une heure. Mais dès que la dimension physique - par le style de jeu qui impose des longs échanges éprouvants et le format des matchs en cinq sets gagnants - devient prépondérante, Roger Federer et Andy Murray (ajoutons aussi Juan Martin Del Potro, Tomas Berdych, Jo-Wilfried Tsonga mais les deux précédents sont plus talentueux) s'effacent de plus en plus face à Nadal et Djoko alors même que tennistiquement - Patrick Mouratoglou l'a reconnu sur eurosport.fr ce matin - ils leur sont sans doute intrinsèquement supérieurs.

Nonobstant d'ailleurs les suspicions - auxquelles je souscris tout à fait, il m'est difficile d'imaginer qu'humainement ce qu'ont produit Nadal et Djoko pendant six heures après les épreuves qu'ils ont traversées soit possible mais bon... - portant sur le caractère surhumain de cette performance physique et sur son côté révoltant (ceux qui font l'analogie avec le cyclisme de la fin des années 90 et du début des années 2000 ont toute mon estime...), je m'inscris en faux contre cette mutation du tennis. Je considère - et là, en l'occurrence, il s'agit d'un parti pris - le tennis comme à mi-chemin entre le sport et l'art. Il y a une dimension esthétique absolument essentielle dans ce sport qui me semble devoir être préservée coûte que coûte.

Un chip de revers-volée de coup droit de Tim Henman, un service slicé-volée de revers croisée de John McEnroe, un revers de Gasquet ou Wawrinka ou un coup droit décroisé de Roger Federer (souvenez-vous, 3-4 30-40 dans le troisième set contre Tommy Haas en 2009 à Roland) valent pour moi toutes les souffrances et toutes les courses d'un Rafael Nadal. Certes ce que ce joueur produit est extraordinaire, son courage, sa détermination, son mental et sa capacité à ramener balle après balle forcent le respect mais voilà, je n'arrive pas à être exalté, enthousiasmé par son visage émacié, déformé par l'effort, ou du moins beaucoup moins que par la classe et l'élégance qui exhalent de chaque frappe de Roger Federer.

Malheureusement, tout cela est en danger et Roger Federer devient comme ces espèces protégées dans un parc zoologique qu'on admire pour leur beauté mais donc on sait qu'ils ne joueront plus un grand rôle dans l'écosystème. Hypocrisie incroyable de la part des nombreux observateurs de la planète tennis, à ce titre : tous louent le caractère exceptionnel, plus que du palmarès encore, du jeu et du style de Roger Federer ou d'autres \attaquants\ mais personne ne déplore que tout soit mis en œuvre pour que ces oiseaux rares disparaissent peu à peu des courts. Personne pour protester contre l'omniprésence du physique dans le tennis moderne alors que c'est essentiel !

Évidemment, ce débat n'a pas lieu d'être pour tous les sports. L'exploit d'endurance, de résistance, de combat contre son corps font partie intégrante et sont même des marqueurs déterminants de l'exploit en cyclisme, en athlétisme, en aviron, en natation, que sais-je encore, bref de ces sports qui sont une lutte perpétuelle de l'homme et de ses membres contre les limites naturelles, contre la montre, contre la fatigue, la douleur etc. Le tennis n'est, pour moi, pas de cette trempe. Il y a un supplément d'âme extraordinaire, unique qui tient de l'esthétique, de la grâce qui rend ce sport si beau. Mais apparemment, cela échappe à beaucoup, et l'avenir s'annonce bien sombre pour cet (bientôt jadis) exceptionnalisme tennistique...

Clément COLLARD




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