La Critique
Quand on voit la bande-annonce et qu’on lit le scénario de ce film, on ne peut s’empêcher de penser à l’une des séries cultes des années 2000, Desperate Housewives. Il y a en effet trop de ressemblances (elles sont quatre, leur lieu d’habitation est une traduction française de la fameuse Wisteria Lane, certaines prennent le café ensemble) pour que ce soit purement fortuit. Pourtant la réalisatrice s’est appuyée sur un livre (Arlington Park) qui décrit la vie de huit femmes au foyer dans la banlieue chic londonienne. Lé structure du film (tout se passe en une seule journée) fait aussi penser à l’un des romans les plus célèbres de Virginia Woolf (Mrs. Darlington). Les références ne sont donc pas forcément à chercher du côté de la série créée par Marc Cherry qui a donné un vrai éclairage sur un pan de la société un peu ignoré et considéré forcément comme très avantagé. D’ailleurs, le ton est extrêmement différent et là où Desperate Housewives se veut un vrai divertissement, très rythmé, avec un côté gentiment satirique, La vie domestique cherche beaucoup plus un réalisme et ce que l’on pourrait considérer comme une étude de cas (un lieu, une journée, quatre femmes). Pour s’attaquer à ce sujet, c’est Isabelle Czajka qui s’y colle. Ce n’est pas forcément la plus connue des réalisatrices même si son précédent film, D’amour et d’eau fraiche, avait un peu fait parler et permis à ses deux acteurs principaux d’être nominés aux Césars du meilleur espoir (Pio Marmai et Anaïs Demoustier). Ses deux premiers longs métrages parlaient plutôt de l’adolescence et du passage compliqué à l’âge adulte. Là, justement, elle s’inscrit complètement dans ce dernier et signe un film assez étrange, pas si loin que cela d’un pur concept. Sans être totalement déplaisant, ce long métrage souffre de trop de défauts pour convaincre complètement, même s’il faut reconnaître à Isabelle Czajka plusieurs mérites.
Le premier est de s’attaquer de cette manière à un sujet un peu invisible dans la société, que Desperate Housewives avait mis en lumière mais tellement tourné en dérision (et en plus, c’était loin , aux Etats-Unis) pour que ça n’apparaisse pas comme une question essentielle chez nous. D’abord, la réalisatrice pose sa caméra dans des banlieues (le grand est parisien) où le cinéma français va assez peu où, sinon, en coup de vent. Clairement, il y a ici une volonté de montrer ce que sont réellement ces quartiers qui, assez vite, apparaissent pour ces femmes comme des prisons à ciel ouvert. Avec ces nombreux plans qui servent de transition, la réalisation insiste beaucoup sur une nature extrêmement présente (grand parc, pelouse devant chaque maison) et qui est sensé contribuer au bien-vivre. Mais, en fait, assez vite, on se sent oppressé dans cet univers presque en dehors du monde où toutes les maisons sont identiques ou presque, où tout le monde a la même voiture et où tout semble terriblement uniforme. Le cadre est donc presque aussi important que ce qu’il va s’y passer. Et de ce côté-là, le film s’en sort plutôt bien pour montrer l’aspect presque angoissant de l’endroit. Là où ça pêche un peu plus, c’est dans ce qu’il se passe pendant le film. En fait, tout arrive en une journée (la réponse pour un travail où tout se décante en quelques heures, une jeune fille disparue dans les environs, des invitations diverses, le passage de la maman). C’est comme si, en une journée, on avait droit au résumé de la vie de ces femmes. Ça fait tout de même un peu beaucoup et ça manque de crédibilité, surtout que la construction du film nous fait passer d’une femme à l’autre (elles sont parfois ensemble) sans forcément de rapport ou de transition.
Parfois, on a l’impression d’observer une sorte de documentaire puisqu’on nous montre des évènements vraiment sans importance. Bien sûr, cela montre que la vie de ces femmes au foyer est bien loin de ce que l’on peut imaginer et, surtout, faite d’une succession d’actions ou de discussions pas forcément passionnantes. Tout est mis sur le même plan (du plus essentiel à ce qui l’est moins) et, parfois, ça manque un peu de hiérarchie dans la construction et ça donne un côté un peu fouillis. Néanmoins, il y a une certaine maitrise, et même une « douceur » dans la mise en scène d’Isabelle Czajka. Elle arrive surtout à ce qui était sans doute le moins évident dans son film : montrer l’indicible. En effet, tout ce que vivent ces femmes ne se met pas forcément facilement en images et c’est plutôt compliqué à réellement le saisir. La réalisatrice, elle, réussit cela, justement parce que son actrice principale, Emmanuelle Devos, n’en fait pas trop mais reste au contraire dans une forme de retenue qui permet de saisir les moments où elle prend vraiment conscience de sa vie qui, pour le coup, était sans doute plus intéressante avant d’arriver dans ce lieu. Personnellement, je me serai plus concentré sur ce personnage sans autant m’« éparpiller » avec d’autres histoires parallèles, surtout qu’elles sont interprétées avec moins de finesse et qu’elles ont plutôt tendance à rajouter des problématiques, parfois de façon totalement artificielle. La femme la plus intéressante est vraiment cette Juliette et il y avait de quoi la traiter plus en profondeur et de faire des ses voisines que des personnages plus secondaires qui appuient certains éléments mais sans en rajouter d’autres.
La vie domestique apparaît donc comme un vrai film féministe ou, en tout cas, un appel à considérer davantage la condition de femmes que l’on pourrait croire très heureuses mais qui vivent une forme d’emprisonnement à la fois mental et physique. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi (l’appel, pas la condition de ces femmes…), et je trouve ce regard plutôt intéressant. C’est un film « militant » qui montre une réalité parfois oubliée, avec un regard vraiment assez désabusé et qui, d’une certaine manière, « dénonce » quelque chose. Mais il y a quand même un vrai souci dans la manière dont sont traités les hommes dans l’ensemble du long métrage. C’est tellement caricatural et prononcé que c’est bien l’ensemble du propos qui perd de sa vigueur. En effet, ils apparaissent vraiment tous comme égoïstes, ne faisant pas vraiment attention à leurs femmes, ne leur facilitant pas la vie et étant même assez condescendants avec elles. Ca commence notamment très fort par cette séquence d’ouverture lors d’un repas entre deux couples où l’un des hommes est absolument horrible, notamment avec les femmes qu’il considère vraiment comme des boniches. Et c’est un peu comme cela pendant tout le film où les hommes apparaissent presque comme des enfants qui ont besoin d’être guidés par leurs femmes qui deviennent donc presque des mamans. A côté de cela, ces femmes, elles, sont gentilles et même « dociles », en obéissant à tout ce qu’on peut leur demander. Alors, au bout d’un moment, arrivé à un tel point de manichéisme, ça agace quand même un peu et, surtout, je trouve que ça dessert vraiment l’ensemble du film alors qu’un peu plus de finesse aurait justement pu lui donner plus d’impact. C’est un peu dommageable et cela prouve que parfois, l’excès d’intention peut véritablement nuire au propos que l’on veut exposer. La limite est ténue mais Isabelle Czajka est malheureusement tombée un peu trop du mauvais côté. Mais tout n’est pas à jeter…