La Critique
Le cinéma américain semble de plus en plus proche des évènements qui marquent le monde, et surtout les Etats-Unis. On peut le voir depuis une dizaine d’années avec des films qui sortent deux ou trois ans après que quelque chose d’important se soit passé. Le 11 Septembre a ainsi été une source d’inspiration, la guerre en Irak aussi et ça continue encore aujourd’hui. Il y a par exemple en préparation un film sur la traque de Ben Laden, réalisé par Kathryn Bigelow, projet lancé avant la mort de l’ancien chef d’Al Qaida. Cela répond à la fois au manque de créativité des studios mais aussi, sans doute, à une aspiration des réalisateurs de s’appuyer sur quelque chose de solide afin de ne pas être accusés de faire n’importe quoi. Un évènement comme la crise financière qui sévit depuis quatre ou cinq ans dans le monde, et qui a pour origine principale les Etats-Unis, devait avoir son film emblématique. Et c’est J.C. Chandor, tout jeune dans le milieu du cinéma (il était publicitaire depuis une quinzaine d’années) qui s’attaque à ce morceau en écrivant et réalisant Margin Call, un film pas forcément excellent mais qui a le mérite de s’interroger et d’interroger sur cet épisode de façon plutôt intelligente.
Pendant plus d’une heure et demie, on est plongé vraiment au cœur d’une firme (probablement une banque) qui connaît déjà des problèmes. Le film commence en effet par une séquence assez incroyable de licenciements et notamment celui de l’homme qui va tout déclencher : Eric Dale. Rude et cynique, cette scène nous met tout de suite dans le ton. Quand il s’en va et donne les informations à l’un de ses collaborateurs, les choses s’emballent durant les heures suivantes. En effet, presque tout le film se passe durant un laps de temps très court, celui d’une nuit où tout peut basculer pour la firme. Des décisions doivent être prises, qui ne seront pas sans conséquences. Car c’est là que se situe le véritable cœur du film : dans la façon dont est décidé ce que fera l’entreprise pour éviter la banqueroute. Là, plusieurs personnages s’opposent sur les choix à faire, car ceux-ci impliquent des effets dévastateurs, à la fois pour la banque elle-même mais aussi pour ceux à qui elle va revendre les actifs toxiques. Tout le monde n’est pas d’accord sur la façon de procéder et, une fois le choix fait, certains devront irrémédiablement quitter l’entreprise, alors que d’autres réussiront à garder leur poste.
Une lutte sans merci s’engage alors entre les personnages principaux où tous les coups – notamment financiers – sont permis. Ce sont les discussions entre ces hommes et cette femme qui vont faire évoluer leur position mais aussi l’intrigue dans son ensemble puisque tout est lié aux décisions de certains. Justement, ce qui m’a dérangé dans ce film, c’est la façon dont la structure du film est beaucoup trop visible et en devient presque « automatique ». L’information monte peu à peu les étages – au sens propre comme au figuré – de la direction jusqu’à cette réunion où tout le directoire du groupe est convoqué par le grand chef, sorte de point central du film. Cette réunion est assez impressionnante dans la façon dont elle met en relation des personnes qui ne sont pas du tout du même rang de décision (du directeur au simple consultant junior), comme si le bouleversement en cours rebattait toutes les cartes. De plus, ces personnes n’ont pas la même opinion sur la stratégie à adopter. C’est aussi là que se découvre le chef de la firme, un homme sans scrupule et aux méthodes plutôt radicales. À partir de là, il y a une redescente progressive alors que le jour se lève où les discussions deviennent plus personnelles. Celles-ci se font deux par deux : entre chefs et subordonnés, entre collaborateurs,… Ces moments ne sont pas forcément assez liés entre eux et cela donne l’impression que ce n’est pas très naturel. La dernière séquence, plus symbolique qu’autre chose, m’a aussi laissé sur ma faim.
La réalisation a le mérite d’être assez froide et clinique, en lien avec l’univers aseptisé des bureaux dans lesquels l’intrigue se déroule et où seuls les écrans perpétuellement allumés mettent de la couleur. Il y a dans le scénario quelques longueurs dans les dialogues et des fioritures et digressions pas forcément utiles. Mais l’intrigue se tient quand même et une forme de suspense parvient à subsister tout le long. Ce film a aussi le mérite de rester simple alors que le monde de la finance est normalement assez opaque. Là, il n’y a pas de grands discours compliqués sur telles ou telles données. De plus ; si le long-métrage est rempli de personnes et de répliques particulièrement cyniques, le propos, lui, n’est pas moralisateur. Il replace en effet au cœur du système financier des hommes et des femmes, qui, s’ils sont un peu déconnectés de la vie réelle (voir les dialogues à propos des salaires), prennent des décisions sans forcément avoir véritablement le choix. Des dilemmes se posent à certains, mais la morale a du mal à résister aux millions. Pour incarner ces personnages, le casting est assez incroyable avec un Paul Bettany vraiment crédible en trader, un Jeremy Irons glaçant en directeur sans foi ni loi, un Simon Baker tout en contrôle et un Kevin Spacey en « droopy désabusé ». Margin Call n’est donc pas un brulot anticapitaliste mais plutôt un film qui permet de réfléchir à la place accordée à certaines personnes dans le monde financier.