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TimFaitSonCinema
Sandra, qui revient tout juste de dépression, apprend un vendredi que la majorité de ses seize collègues ont voté pour avoir une prime plutôt que de la voir rester dans l’entreprise. Elle réussit à obtenir un second vote le lundi et va tout faire pendant le week-end pour les faire changer d’avis.
Verdict:

Film fidèle aux principes des frères Dardenne, Deux jours, une nuit est une œuvre assez sensationnelle par moments, à la fois dure et sensible, et qui montre que ce n’est pas l’économie de moyens qui empêche les sentiments forts. Ce long métrage permet de montrer une nouvelle fois que Marion Cotillard est bien une très grande actrice.

Coup de coeur:

Marion Cotillard

La date de sortie du film:

21.05.2014

Ce film est réalisé par

Jean-Pierre DARDENNE Luc DARDENNE

Ce film est tagué dans:

Drame

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 La Critique


Depuis leur Palme d’Or décernée en 1999 pour leur première apparition sur la croisette, c’est devenu une tradition, de sorte que l’on peut même parler à ce stade de véritable institution… Tous les trois ans, les frères Dardenne sont de retour en compétition officielle et, à chaque fois, ils font un véritable tabac auprès de la critique et, surtout, ils repartent toujours avec un prix, ce qui est tout bonnement hallucinant. Ainsi, en quinze ans, ils auront remporté deux Palmes d’Or (Rosetta, donc et L’enfant), le Prix du scénario pour Le silence de Lorna, le Grand Prix pour Le gamin au vélo ainsi qu’un Prix d’Interprétation Masculine pour Olivier Gourmet dans Le fils. Il ne leur reste finalement que le Prix de la mise en scène, le Prix du Jury et celui d’interprétation féminine. Mais, attention, je dis cela avant que les récompenses ne soient données pour le Festival 2014 car les choses pourraient bien changer… Plus encore qu’à Cannes, où leur aura est désormais légendaire, c’est bien dans le cinéma mondial que les deux frères belges ont réussi à faire entendre leur propre voix à travers les années, tout en gardant une patte singulière qui en fait des specimens assez uniques en leur genre et de sacrés découvreurs de talent (on leur « doit » Olivier Gourmet, Emilie Dequenne, Déborah François, Jérémie Rénier,…). Ils sont en effet devenus les porte-étendards du cinéma social belge, filmant toujours la ville de Seraing, avec notamment la question des mères encore adolescentes (L’enfant) ou celle des mariages blancs (Le silence de Lorna). Avec Le gamin au vélo, ils semblaient opérer un certain virage avec, à la fois, un film plus lumineux dans la forme mais aussi avec une actrice déjà reconnue dans le rôle principal (Cécile de France en l’occurrence). Avec Deux jours, une nuit, ils semblent continuer dans cette voie et vont peut-être même encore plus loin en mettant une scène celle qui est maintenant une star internationale : Marion Cotillard. Et tout en livrant un film d’une limpidité et d’une facilité d’accès assez déconcertante, ils nous offrent leur œuvre la plus puissante.

 

Et ce long métrage est une nouvelle preuve que les frères Dardenne sont bien à une période charnière de leur carrière et qu’ils se réinventent tout en gardant la ligne directrice de leur cinéma. En effet, on retrouve ce qui en fait le sel: ces longs plans qui semblent s’étirer à l’infini, cette recherche d’un certain naturalisme, cette sobriété dans la mise en scène et cette volonté de toujours coller au plus près des personnages. C’est en fait un cinéma qui paraît extrêmement simple, au point que l’on se demande pourquoi tout le monde ne fait la même chose. Mais si ça marche avec eux (et pas avec d’autres qui utilisent peu ou prou les mêmes méthodes), c’est surtout parce que les deux Belges ont ce que l’on peut appeler un vrai regard sur le monde, dont ils ont fait de Seraing une sorte de laboratoire miniature. Ce regard ne peut pas être considéré comme particulièrement optimiste même si on peut voir poindre ci et là quelques touches moins sombres. Ils ont ainsi exploré un peu toutes les formes de violence depuis de nombreuses années, avec, toujours en toile de fond, une certaine pauvreté. Et là, justement, c’est précisément à la question sociale qu’ils s’attaquent et, une heure et demie de leur cinéma vaut bien tous les discours (politiques notamment) que l’on peut entendre sur notre société et les dérives d’un libéralisme effréné. Car la vision des frères Dardenne sur le monde du travail est absolument terrible tant celui-ci semble violent et sans aucune pitié envers la moindre faiblesse. Mais là où c’est véritablement intéressant, c’est que jamais ils ne jugent les hommes qui la composent et qui sont donc plus vus comme des victimes d’un système. Chacun a ses raisons de refuser de ne pas toucher une prime et Deux jours, une nuit ne cherche aucunement à les caractériser selon une distinction « bonnes / mauvaises » personnes. Même le patron n’a pas une image de terrible méchant. Lui aussi est pris dans des engrenages qui le dépassent complètement.

 

C’est donc là au milieu que se débat Sandra, sorte de symbole ultime des vicissitudes de ce monde du travail puisque, revenant à peine d’une dépression dont on ne sait rien (vient-elle du travail, de soucis plus personnels ou bien d’une combinaison de ces deux facteurs ?), elle apprend qu’elle est licenciée. Pire, que ce sont ses collègues qui ont voté pour qu’elle soit licenciée et qu’eux puissent toucher 1000 euros. D’ailleurs, cette somme n’est pas anodine puisque si, en France, elle est à peu près synonyme du SMIC (supérieur dans les faits), elle va véritablement prendre tout son sens dans le film (c’est un an de gaz et d’électricité pour l’un ou la possibilité de faire une terrasse pour l’autre). C’est autour de celle-ci que va se dérouler l’intrigue et, pour le coup, les frères Dardenne nous offrent une sorte de thriller d’un genre très particulier puisque l’enjeu est de savoir qui va voter différemment le lundi que le vendredi. Sandra se lance donc dans une entreprise qui consiste à aller voir chacun des employés pour leur demander de changer d’avis. Et dans cette tâche, le spectateur est forcément de son côté et voudrait la soutenir. Surtout qu’elle a des moments de découragements, mais aussi des petites joies sincères, comme un résumé de toute une vie en un week-end. Ce sont de véritables montagnes russes émotionnelles pour elle, mais aussi pour le spectateur. Et ce qui est vraiment intéressant, c’est la manière dont ce qui finit par ressembler à une épopée va à la fois la reconstruire en tant que femme mais aussi donner une nouvelle chance au couple qu’elle forme avec Manu (Fabrizio Rongione, un habitué des Dardenne, très bon ici) qui, lui, va vraiment la pousser à continuer ce combat même quand il semble désespéré. On ne peut pas parler de la fin car c’est aussi l’objet de ce thriller, mais on peut juste dire qu’elle est réussie et, à l’image du film dans son ensemble, d’une grande justesse.

 

A première vue, la succession de rencontres avec ses collègues pourrait avoir un côté un peu répétitif et, ne nous mentons pas, ça l’a à certains moments, ce qui donne quelques petites longueurs ci et là. Mais le scénario est assez intelligent pour permettre au film de toujours avancer et ceci dans un décor plutôt lumineux, notamment parce que la nuit est finalement presque absente, et en évitant tout pathos. Il y a quelques raccourcis parfois un peu facile, mais rien de bien choquant. Et ce qui est amusant, c’est que, à partir de la même accroche (une phrase d’introduction que Sandra a appris par cœur et qui lui permet de ne pas craquer devant ses interlocuteurs), les réactions de chacun des personnages qui se retrouvent en face d’elle est très différente, montrant ainsi toutes les facettes de la nature humaine. Certaines sont choquantes, d’autres magnifiques (immense scène avec le jeune entraîneur de foot) et, chacune à leur manière, elles permettent à la jeune femme de se reconstruire. Et Sandra, parlons-en, puisque Marion Cotillard, qui est de presque tous les plans, est tout simplement magnifique ici. Elle a une précision de jeu assez incroyable et donne à cette Sandra une consistance (dans la peine comme dans la joie) qui en fait une véritable héroïne dans ce survival des temps modernes. Après avoir vu lui échapper le prix en 2012 pour son interprétation pourtant parfaite dans De rouille et d’os (notez que les deux actrices qui l’avaient gagné, Cosmina Stratan et Cristina Flutur, dans Au-delà des collines étaient aussi excellentes), ça devrait pouvoir le faire cette année et ainsi compléter une collection de trophées déjà fabuleuse. Alors, une troisième Palme d’Or est-elle en vue (d’après la majorité des suiveurs, ça ne fait pas beaucoup de doute…) ou les frères les plus célèbres du cinéma belge se consoleront ils en raflant l’un des quelques prix qu’ils n’ont jamais remporté ? Réponse lors de l’annonce du palmarès mais, d’ores et déjà, Deux jours, une nuit est l’un des grands moments de cette année 2014. Et ça suffit amplement à mon bonheur...



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Fiz 26.05.2014, 18:54

Un film bouleversant.
C'est un drame social intense et prenant sur la solidarité (ou non) entre salariés, et superbement interprété.
C'est beau, c'est fort, c'est poignant... du très bon cinéma social (c'est-à-dire sans verser dans le misérabilisme ou le militantisme).
Ce qui est beau, par exemple, c'est le couple (Sandra et son mari), bien mis en avant dans ce film avec le rôle très important du mari de Sandra pour l'aider à lui redonner l'envie de se battre suite à sa dépression.
Le bémol de l'intrigue un peu répétitive ne m'a pas gêné car c'est lié à l'histoire même de ce film qui est comme un chemin de croix, éprouvant aussi pour le spectateur tellement il prend aux tripes.
Bien vu Tim pour le coté "montagnes russes émotionnelles" pour Sandra et le spectateur, c'est exactement ça.
Au final, pour moi aussi, ce film est bien l'oeuvre la plus puissante des frères Dardenne. Dire que le film est reparti bredouille de Cannes...


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