La Critique
Il faut bien avouer que quand on voit l’affiche et la bande-annonce de ce nouveau film de Lucas Belvaux, on peut se demander si le réalisateur belge n’a pas un peu « craqué » en adaptant ce roman. En effet, lui qui nous avait habitués à être plutôt l’un des représentants de ce cinéma social belge (avec les frères Dardenne comme porte-étendard principal) nous donne l’impression de changer complètement de genre avec une comédie romantique a priori un peu neuneu sur les bords. J’avais apprécié les deux films précédents de ce réalisateur (Rapt et 38 témoins). Ils étaient de styles différents mais, chacun à leur manière, ils posaient de vraies questions sociales et même sociétales. Avec Pas son genre, à première vue, ce n’est pas vraiment le cas et on pourrait même se dire (et je sais que c’est facile) que ce n’est pas le genre du réalisateur lui-même de faire ce genre de films. Mais connaissant un peu le travail de Lucas Belvaux, je me doutais bien que sa nouvelle oeuvre ne serait pas une comédie romantique habituelle mais qu’il chercherait à aller plus loin et que, donc, son long métrage aurait un intérêt de plus qu’un simple divertissement. Et puis la présence d’Emilie Dequenne au casting était aussi une raison suffisante pour aller voir ce film. Bien que plutôt rare au cinéma, elle a souvent des rôles assez marquants, notamment dans A perdre la raison où elle campe avec grand talent une mère qui va finir par assassiner ses propres enfants (même si son apparition l’année dernière dans Möbius était un peu plus discutable). Dans l’autre rôle principal, on trouve Loïc Corbery, sociétaire de la Comédie Française (ceux-ci sont de plus en plus présents dans le cinéma) qui, après quelques apparitions fugaces, trouve ici son premier vrai grand rôle. Pas son genre est-il vraiment bien plus qu’une simple comédie romantique et trouve-t-on donc un intérêt supplémentaire à le visionner ? Et bien oui et on pourrait même parler de ce long-métrage comme d’une anti-comédie romantique, rien que ça.
Ce qui est en fait assez amusant, c’est que le film « débute » vraiment là où la plupart des comédies romantiques habituelles trouvent leur fin : au moment où les deux amoureux sont vraiment ensemble. En quelque sorte, ce long-métrage cherche plutôt à montrer ce que l’on peut considérer comme l’ « envers du décor ». Dans Pas son genre, la mise en place du couple est finalement assez accessoire et le scénario ne s’y intéresse que peu : on ne voit pas véritablement leur rencontre et toute la période d’ « approche » (même si ça fait un peu documentaire animalier de dire les choses ainsi) n’est pas non plus développée. Ce qui est important pour le réalisateur, c’est plutôt de bien faire comprendre en quoi les deux personnages sont différents et pourquoi leur rencontre est si surprenante. Et, honnêtement, ce n’est pas la meilleure partie du long métrage puisqu’elle est un peu trop longue et que la construction en miroir n’est pas forcément la plus habile : on les voit chacun dans leurs univers respectifs (elle dans un karaoké, lui dans une soirée parisienne branchée,…) et c’est là que les clichés sont les plus importants, même si, par petites touches plus subtiles, la même chose est montrée. Même si c’est parfois presque un peu gênant tant ces différences sont criantes, c’est de ce matériau que Lucas Belvaux se sert pour construire véritablement son film qui sera finalement une étude de cas sur la possibilité d’un amour vrai dans un couple où les deux protagonistes sont si différents, tant dans leur milieu social que dans leur conception même de la vie et de la relation amoureuse. Quand ils sont ensemble, on retrouve encore ces divergences (comme cette discussion lunaire autour de Jennifer Anniston). C’est vraiment là que le film devient intéressant et trouve sa véritable raison d’être et on comprend ainsi bien mieux ce que le scénario a voulu mettre en place depuis le début. Et, de manière assez étrange, ce qui finit par marquer Pas son genre, c’est le suspense qui l’habite : les deux vont-ils rester ensemble ? Comment peuvent-ils concilier leurs si grandes différences ? Autant de questions qui vont agiter le spectateur et auxquelles le film n’apporte pas forcément de réponses toutes faites.
En effet, une grande place est laissée à l’interprétation et la fin est assez intrigante puisqu’elle ouvre sur de nombreux possibles et fait en tout cas réfléchir. Et c’est aussi parce que, dans sa façon de traiter ces différences, Pas son genre fait les choses de manière plutôt intelligente. En effet, il n’y a pas vraiment de jugement de chacun des personnages, leur attitude et leurs comportements sont montrés de la même manière, sans dénigrer ou mettre sur un piédestal l’un ou l’autre. Là où, parfois, dans ce genre de situations, on voit vraiment le scénario « choisir » l’un ou l’autre des protagonistes, ce n’est pas vraiment le cas ici, même si, on a l’impression que s’il devait opter pour l’un des deux, ce serait plutôt pour Jennifer. Cela vient aussi sans doute de la prestation des deux comédiens principaux. En effet, si Loïc Corbery joue plutôt pas mal le côté froid et cérébral d’un professeur de philosophie parisien jusqu’au bout des ongles, c’est véritablement Emilie Dequenne qui impressionne ici. En coiffeuse toute simple qui essaie de toujours voir la vie du bon côté mais qui va connaître son lot de déceptions, elle est tout simplement géniale. Et, en plus, elle nous montre encore une fois sa capacité à faire passer beaucoup de choses dans des scènes clés. Ici, c’est lorsqu’elle interprète I will survive et ça fait forcément penser à l’inoubliable séquence de Femmes, je vous aime dans A perdre la raison. Quand on la voit à un tel niveau, on aurait presque envie qu’Emilie Dequenne ne puisse être dirigée que par des réalisateurs belges… Dans Pas son genre, elle éblouie une nouvelle fois et fait de Jennifer un personnage que l’on a envie d’aimer. Si le film n’est pas forcément toujours bien rythmé et si certaines séquences auraient sans doute gagnées à être un peu raccourcies pour gagner en densité, dans l’ensemble, on s’ennuie quand même peu devant ce long métrage qui, par moments, est même vraiment intéressant. C’est en tout cas très loin de ce que la bande-annonce et l’affiche pouvaient nous annoncer. Et c’est tant mieux.